À Nice, Covid et déprime au menu du marché de la Libé
Entre les dernières tomates comme un souvenir de l’été et les premières clémentines de Corse au bon goût acidulé, toujours la Covid et déjà la déprime. Solitude et ennui font aussi leur marché…
Sur le papier, à la télé, partout aux infos : la déprime. Sur le terrain, qu’en est-il ? Autour de la place de la Libération, à Nice, la situation est assez contrastée. Les plus souffrants n’étant déjà plus en mesure de prendre la température de l’air ambiant. Signe des temps, la superficie du marché est strictement circonscrite. Contenue dans un périmètre de barrières Vauban. Des vendeurs à l’enclos, en somme, auxquels on accède sous le regard vigilant de… vigiles. Oui, des agents de sécurité à l’entrée des allées, non pas pour surveiller les étals, mais pour contrôler le flux et la densité des chalands.
« Demain ne nous appartient pas »
« Le confinement, ça commence à me gonfler » , résume Reine, 84 ans. Ingrid, 71 ans, d’origine allemande : « Moi, ça va. Mais j’ai des amis qui sont tristes. Un état dépressif, je peux dire. Je connais un homme de 80 ans et une femme de 65 ans qui ne sortent plus et ne prennent même pas la peine de téléphoner pour prendre ou donner des nouvelles. J’essaie de les encourager, mais bon, cette dame vit dans un tout petit appartement et lui seul, il s’ennuie. »
« Déjà, il faudrait arrêter de regarder tous ces plantem… de la télé et ces politiques qui nous cassent les c... », assène Jean-Pierre, 73 ans. « Sans parler des docteurs, des spécialistes qui nous mettent la pression, toutes les cinq minutes ça change, on rend les gens dingues. » Pour lui, tout va bien, merci. « Parce que la télé, moi, je ne la regarde pas. En tout cas, pas de façon passive. Le confinement n’a pas changé ma vie, je fais mon marché et basta. En suivant les règles. Le problème, c’est l’incivisme des Français. » Ce qu’il sait, c’est que personne ne sait rien. « Le titre du feuilleton, ce n’est pas Demain
nous appartient,
mais plutôt Demain ne nous appartient pas », conclut Jean-Pierre, envoyez c’est pesé.
« Ce degré de privation de nos libertés, ça m’énerve », dit Jacques, 72 ans. Lui serait « plutôt du genre en surpression », manière de dire qu’il est « près d’exploser ». Pas de tristesse de son côté, mais une grande morosité dans son entourage : « J’ai une exépouse que le télétravail indispose au dernier degré. La qualité de la communication, elle est fortement altérée. »
Salaire à la baisse
Pas d’état dépressif pour Josiane. Qui suggère de « lire beaucoup, faire de la gymnastique, du vélo d’appartement ». De passage au marché avec sa fille Sigrid, Martin, un Suédois qui a épousé une Niçoise, l’avoue : « Oui, le confinement me tape un peu sur le système. Toute cette réglementation, ne pas pouvoir marcher à la campagne, être empêché de revoir ma famille en Suède, c’est assez difficile. » Le télétravail, il n’aime «pas trop ». Pour Sigrid, 9 ans, le préjudice n’est pas gros : « Juste qu’à l’école, on coupe la cour de récréation en morceaux pour éviter des groupes trop importants ». « Ce n’est pas facile, mais on n’est pas encore dépressifs », sourient Bastien et Safia, 28 et 25 ans. «Onne peut pas trop voir les amis, sortir, aller boire des coups, les relations sociales sont très limitées, pareil pour la famille », dit-il. Sa famille à elle est à Lyon. À moitié au chômage partiel, à moitié en télétravail, elle aurait préféré être employée à temps plein. « Mon salaire est à la baisse, on se dit que c’est temporaire, on a quand même hâte que ça s’arrête. » Bastien croit avoir entendu que «20% des Français auraient pensé au suicide pendant le confinement » .Ildit en riant n’en être pas encore là. Pas de tensions dans le couple, l’envie de retrouver très vite une vie normale. « Ce pourrait être pire, on est à Nice, il fait beau. »
« Prendre du temps pour soi, un peu », dit une jeune maman, au jardin public. Une autre ne partage pas cet avis. « Triste, oui » ,explique Anna, une Italienne de 27 ans. «Onn’apas notre liberté, même si c’est pour une juste cause. » Le premier confinement lui coûtait davantage, mais ce qui lui pèse : « Ne pas voir ma soeur et son fils de deux mois, alors qu’ils sont à Nice. On habite un peu loin. Ne pas pouvoir dîner avec les amis le samedi, ça m’embête aussi. »
Pour Léo et Marylène, 26 ans, la pandémie aura produit un effet contraire à celui généralement observé : « Le virus nous a rapprochés. » Cette jeune journaliste au chômage vivait à Paris, elle est venue se confiner chez lui, à Nice, d’où elle compte ne pas repartir. Son regret : « La période est compliquée pour chercher du boulot. Difficile aussi de voir ma famille à Bordeaux. » La sienne à lui est en Bretagne, il a déjà raté les deux anniversaires qu’il devait y fêter. Dont le sien. Ce qui lui manque le plus ? «Onnevapasse mentir, probablement les bars. Eh oui, je vous l’ai dit, je suis breton ! » Tous deux apprécient, par rapport au confinement saison 1, « une atmosphère moins lourde » puisque la première fois, « des gens vous regardaient bizarrement et, presque, changeaient de trottoir plutôt que de vous croiser ». Moins de psychose, donc. Mais « la vie a disparu, même à Paris » ,dit Marylène qui n’en pouvait plus d’une capitale sans cafés ni théâtres.
« Dépressif, ce serait beaucoup dire. Mais triste, oui », reconnaît Loup, 32 ans, qui se désole de ne pas visiter sa famille disséminée partout en France mais se félicite de pouvoir exercer son métier de prof de sport dans un collège privé sous contrat.
« Je ne suis pas encore en dépression parce que j’essaie de bouger et de m’épanouir », soutient enfin Joséphine, 75 ans.
« Mais toutes les activités culturelles ont disparu, et même les endroits où l’on pouvait respirer de l’air pur. Comme la Prom’ où les chaises bleues ont été retirées, alors qu’il aurait suffi d’en condamner quelques-unes. » Cette ancienne institutrice pense s’en sortir correctement :
« Je ne suis pas assez âgée pour en souffrir énormément. Ni seule à la maison. Je lis, j’essaie d’avoir des amis au téléphone, on sort dans un rayon d’un kilomètre. Mais pour les personnes très isolées qui n’ont que la télévision, anxiogène, les morts, les morts, les morts, c’est dur. »
Pour elle, « on nous muselle », le masque qui cache le sourire, les contacts impossibles, « tout cela a duré assez longtemps ». Elle-même ne se fera vacciner que si le Pr Didier Raoult y consent pour lui-même. En attendant, elle déplore de ne plus chanter dans sa chorale et de marcher moins,
« c’est usant ». Son credo :
« Laissez-nous respirer ! »
La télé, moi, je ne la regarde pas.”
Laissez-nous respirer !”
Ce pourrait être pire, on est à Nice il fait beau.”