Nice-Matin (Cannes)

Leïla Slimani pas si douce !

Prix Goncourt pour Chanson douce en 2016, l’auteure franco-marocaine est l’invitée vedette des Rencontres littéraire­s de Cannes, qui débutent en ligne aujourd’hui. Elle évoque son difficile travail d’écriture sur la suite du Pays des autres, son dernier r

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

la Culture. Plutôt l’écriture pour changer le monde ?

Je ne cherche pas à changer les choses car je ne pense pas qu’on puisse. Je veux plutôt créer du sens, une forme de beauté aussi, dévoiler des choses enfouies dans une forme de secret. Mais si je voulais changer les choses, je ferais de la politique.

Vous avez tenu un journal du premier confinemen­t. Et pour le deuxième ?

Non, car je suis plongée dans l’écriture de mon roman familial, la suite du Pays des autres ,qui couvre les années 1960 à 1970.

À la différence de Maïwenn [la réalisatri­ce d’origine algérienne du film ADN, ndlr], je n’ai pas été arrachée à mes racines, j’ai toujours gardé une grande proximité avec le Maroc. Mon livre évoque le Maghreb dans ces années-là mais c’est aussi une enquête sur moi, comment quelqu’un comme moi peut exister aujourd’hui.

Notre société est obsédée par le présent, et oublie tout ce qu’elle doit au passé, alors que nos réalités sont hantées par des fantômes. Si on ne prend pas en compte le temps long, on ne comprend pas tout ce qui se passe aujourd’hui. On réduit beaucoup les Marocains et les Algériens à la religion, comme s’ils n’étaient que des êtres religieux, mais ils sont les fruits de toute une Histoire.

Vous vous revendique­z 100 % Marocaine et 100 % Française. Vous êtes également la représenta­nte du président Macron pour la Francophon­ie. Votre opinion sur sa politique contre les séparatism­es ? (Sèchement) Je suis écrivain, je n’ai pas à me positionne­r sur ça. Ce n’est pas parce que je suis Marocaine, que je dois m’exprimer là-dessus.

Le Goncourt dès un deuxième roman, c’est comme une étoile pour un jeune chef : pression ? Non, c’est comme ça, il faut en profiter, embrasser le destin. Ça ne rajoute pas de pression parce que l’écriture est déjà tellement difficile, c’est tellement fastidieux de s’asseoir à la table pour écrire avec endurance.

Plaisir ou souffrance ? Souffrance et discipline. Une journée de confinemen­t, c’est dix heures d’écriture, de 9 h à 19 h. L’écriture, c’est beaucoup de frustratio­ns car on n’arrive jamais à écrire tout ce qu’on souhaitait. Certains jours, on n’arrive pas à écrire plus de deux phrases !

Mais parfois plaisir aussi, quand les personnage­s veulent bien se montrer dociles. De toute façon, j’ai l’impression que je ne peux faire que ça, l’écriture donne un sens à ma vie. Qu’elle soit douloureus­e ou non, c’est un combat avec moi-même, et j’essaie de m’améliorer.

La dichotomie entre votre image et vos écrits peut surprendre.

Oui, mais les gens qui me connaissen­t vraiment savent que je suis très extraverti­e, passionnée.

Et votre style, plutôt glacial ? Quand on se met à écrire, on cherche sa voix, sa langue, et le style qui conviendra le mieux au sujet. C’est à la fois un labeur, mais aussi quelque chose qui émerge naturellem­ent, presque irrationne­l. Dans Le Pays des autres, pour évoquer le Maroc d’antan et sa ruralité, le style est plus chaud que dans Chanson douce, mais au fur et à mesure, il va devenir plus froid, car le monde devient violent et divisé.

ris plein de choses que je jette ensuite”

Vous êtes une féministe, avec un idéal de mixité ?

Les choses évoluent dans le bon sens, mais il y a encore beaucoup de combats à mener en France, et encore plus dans certains pays, où les femmes continuent de souffrir parce qu’elles sont femmes.

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(Photo B. Horvat) Atiq Rahimi.
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