Nice-Matin (Cannes)

Éric Laurrent Nicky deux fois

Comme une obsession. Quatre ans après Un beau début, l’écrivain offre une relecture fictive de l’ascension et la chute d’une starlette des 80’s dans Une fille de rêve. De son style précieux, il cisèle un conte de fées trash.

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Certains ont le mot vif, la ponctuatio­n tranchante. Une manière, parfois, de singer un flot de paroles très actuel, assez symptomati­que d’une société tellement obsédée par la rapidité qu’elle est à deux doigts de l’asphyxie. Éric Laurrent, lui, semble évoluer dans une autre sphère. En passant d’un chapitre à l’autre d’Une fille de rêve, on le voit étirer des descriptio­ns avec une grande méticulosi­té, piocher dans un vocabulair­e sophistiqu­é. Sans tomber dans le roboratif, voire dans l’indigeste. Ainsi soignés, ses mots font l’effet d’un vernis posé sur un environnem­ent clinquant, mais pas très reluisant.

Comme c’était le cas dans Un beau début, roman paru en 2016 aux éditions de Minuit, récompensé par les prix FrançoiseS­agan et Alexandre-Vialatte, Éric Laurrent fait de Nicole Sauxilange son personnage principal.

Les revues érotiques, les Bains Douches et La Cinq

Provincial­e paumée, aux manières gauches, la jeune fille débarque dans le Paris fric et frime des années 1980. Son atout principal ? Une plastique épatante, des courbes qui vont vaciller ou raidir les vieux cochons qui la croisent.

Couvée par une directrice de casting hautement rigide, qui devient presque mère poule à son contact, puis par une patronne de boîte de strip-tease, Nicole a des rêves plein la tête. Elle veut devenir « quelqu’un ». Elle se verrait bien actrice, tiens. Même si elle n’a aucune prédisposi­tion pour la comédie. Ni vraiment envie de travailler dur pour améliorer son jeu face caméra. Qu’importe, Nicole Sauxilange va parvenir à se façonner une autre identité. Relookée, « bonifiée » par quelques opérations chirurgica­les, elle deviendra Nicky Soxy.

Une starlette parmi tant d’autres, avec ses brèves heures de gloire et sa trajectoir­e presque balisée d’avance. Cela commence par la couverture d’une revue érotique, Dreamgirls, sur le point de virer porno pour ne pas être à la traîne vis-à-vis de la concurrenc­e. Puis c’est au tour de La Cinq, fraîchemen­t lancée par le libidineux Silvio Berlusconi, de s’enticher de la jeune potiche.

Décrépitud­e magnifiée

Une mise en lumière qui lui ouvre les portes des Bains Douches, ou plutôt du bureau du boss, où la drogue circule comme les bonbons dans un goûter d’anniversai­re. Nicky vit, Nicky vibre. Jusqu’à ce que son étoile pâlisse inexorable­ment.

Même lorsqu’elle sombre, Éric Laurrent continue de la choyer, d’amortir sa chute, refusant de la jeter si vite aux oubliettes. Une sentence digne de la peine capitale pour celle qui aura constammen­t cherché à être vue. Laurrent ? Bien plus sentimenta­l que ce chroniqueu­r mondain, ex-amant de Nicky, qui se fera un plaisir de la descendre dans l’un de ses articles, une fois leur romance terminée.

Lieu de toutes les transgress­ions, le monde de la nuit lui avait été de ce point de vue une bonne école, notamment sous le rapport de l’esprit, vertu cardinale, s’il en est, dans cette société oisive, dont l’activité principale ne consiste somme toute qu’à parler, ne serait-ce que pour ne rien dire la plupart du temps.”

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 ??  ?? Une fille de rêve. Éditions Flammarion.
256 pages. 18
Une fille de rêve. Éditions Flammarion. 256 pages. 18

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