Nice-Matin (Cannes)

La Force de l’ordre Projecteur sur la Bac et ses méthodes...

Ce roman graphique – et critique – en mode « vécu », focalise sur le quotidien de la Bac en banlieue parisienne. Ses excès, ses dérives. Sa routine déprimante aussi...

- LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

Alors qu’une nouvelle loi vise à interdire la diffusion des visages de policiers en opération sans floutage et que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, réaffirme que son « travail est de protéger les policiers et les gendarmes », une BD-enquête suit au plus près la brigade anticrimin­alité en banlieue parisienne. Au risque de tomber dans la caricature du « méchant flic raciste » contre le jeune des cités harcelé...

Le pitch

« Bonsoir vos papiers ! »... La question rituelle du quotidien de la Bac dont on suit les pérégrinat­ions bordées d’ennui et de frustratio­ns, dans un monde au manichéism­e souvent primaire.

L’avis

Ils se rêvaient en héros de série U.S. style Vic Mackey, figure musclée d’une brigade antigang peu orthodoxes dans The Shield. Ils se retrouvent à « faire du chiffre » en banlieue lors de continuell­es patrouille­s monotones pour espérer atteindre les quotas fixés par leur hiérarchie...

L’adaptation en bande dessinée de l’ouvrage de Didier Fassin La Force de l’ordre, une anthropolo­gie de la police des quartiers, paru en 2011, donne une vision peu reluisante des hommes au brassard rouge. L’auteur a partagé pendant près de deux ans leur routine.

Il a bien fallu élaguer pour retranscri­re le tout en BD avec un angle précis. Et c’est là où le propos peut gêner aux entournure­s. Car l’on pénètre un monde où les « hommes de lois » sont dépeints comme des policiers cyniques, insultants, voire carrément racistes, qui outrepasse­nt sans cesse leurs droits en contrôlant à tout va « au faciès », poussent à la faute, inventent des « outrages et rébellions », travestiss­ent la réalité des faits pour se dédouaner en cas d’interpella­tion qui tourne mal, etc.

Exemple lors d’une opération avec ces allégation­s de « sauvagerie inqualifia­ble à l’encontre des forces de l’ordre », alors que dans les bureaux on avoue en vérité que « le collègue s’est fait une entorse en courant pour se replier vers son véhicule »...

« Punir dans la rue leur apparaît comme une manière de se substituer à une justice qu’ils pensent défaillant­e », observe l’auteur qui décrit des policiers à tendance paranoïaqu­e « s’imaginant que la société dans son ensemble leur est devenue hostile ». Un décalage qui serait instillé dès les écoles de police, puis exacerbé par les politiques.

Si l’on ne nie pas les « dérapages » policiers plus ou moins contrôlés, le récit perpétuell­ement à charge, finit par dévoyer sa démonstrat­ion à force de compiler – à sens unique – les exemples de répression­s. Comment nier que tout est loin d’être rose dans les cités ? Reste que oui, un fossé est en train de se creuser entre la population et sa police, faute de passerelle entre les deux mondes. Idem concernant le manque de « diversité dans le recrutemen­t des forces de l’ordre » et le « glissement de l’État social vers l’État pénal ».

Les attentats et l’épidémie de coronaviru­s achèvent de légitimer l’autoritari­sme et les restrictio­ns de libertés surligne l’auteur. À ce sujet, le dessin, aussi dark que dépouillé de Raynal, met parfaiteme­nt dans l’ambiance.

Le bonus

Didier Fassin publie en parallèle chez Points l’essai Punir, une passion contempora­ine qui invite à « repenser la place du châtiment » dans nos sociétés.

The Shield et sa brigade aux pratiques mafieuses sont leur héros

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 ??  ?? Par D. Fassin, F. Debomy, J. Raynal. Éditions Seuil / Delcourt. 104 pages. 17,95
Par D. Fassin, F. Debomy, J. Raynal. Éditions Seuil / Delcourt. 104 pages. 17,95

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