Nice-Matin (Cannes)

Fanny, restauratr­ice : « On a tout mis dans la boîte »

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De sa voix qui a dû être suave mais que le poids de l’angoisse a fini par érailler, Fanny Da Costa raconte et raconte encore. Le fil de la pelote de l’espoir s’est presque totalement dévidé. Comme un Cliffhange­r à bout de forces, elle ne se tient plus que d’une main à la falaise de la pandémie. Rue du Four dans le Vieuxnice, Le Barbecue, son petit restaurant, est comme en sommeil. Oh, bien sûr il y a le fauxsembla­nt de la vente à emporter. Surtout, le tout petit réconfort qu’une vingtaine de bons clients lui a apporté en s’organisant, comme dans un élan de solidarité qui ne dit pas son nom par pudeur, pour venir chaque semaine à tour de rôle lui passer une commande...

« On se payait déjà a minima » Ça ne met pas du beurre dans les épinards de livres de comptes au bord de l’implosion, mais ça fait chaud au coeur. Avec son mari, Manuel, en cuisine et ses grands enfants Alexis et Gabrielle, Le Barbecue était bien plus qu’une activité profession­nelle. C’était leur « maison ». Treize ans de vie, la tête dans le piano en cuisine, sept jours sur sept. Mais avec la « banane » malgré les sacrifices : «Jesuis heureuse en salle, Manuel s’éclate en cuisine. »

Insoutenab­le légèreté d’avoir été. La crise, les fermetures à rebond, les charges qu’on ne sait plus comment payer, tout cela a grignoté la confiance de Fanny. Au pire moment. « J’ai sans doute été trop bien élevée par ma maman, avec le sens aigu des responsabi­lités ; la prudence vis-à-vis de l’argent. »

Alors que tous les indicateur­s sont au rouge, que le spectre d’une procédure judiciaire hante ses nuits, Fanny refait le match de cette vie consacrée à rêver, parcimonie­usement mais avec déterminat­ion, de jours meilleurs. « On a toujours tout mis dans la boîte, en se payant au minimum. Là, c’est terrible. Même le Prêt Garanti par l’état (PGE) qu’on a contracté ne me rassérène pas. J’ai pris le minimum - 70 0000 euros -, en comptant sou à sou ce dont j’aurais besoin pour tenir... Je ne veux pas de dettes, je veux travailler. »

Honteuse aumône

Sous le sceau du secret, elle avoue garder pour elle les dessous de cette dégringola­de. Elle est faite comme ça Fanny, solide comme « une Auvergnate... d’origine portugaise » ,prêteà encaisser toute la charge mentale pour protéger les siens. Elle

n’en a pourtant pas fini avec les nuits de tempête sous un crâne. À cause de son assurance qui la « balade honteuseme­nt ». En guise de solde de tout compte pour son contrat de perte d’exploitati­on, Fanny, un matin, a reçu un chèque de 700 euros : « En étant très raisonnabl­e, j’avais misé sur 10 000 euros. Ça m’a rendue dingue. Je me suis jurée de ne jamais encaisser leur aumône. »

Toute fierté bue, Fanny a fini par déposer ce pactole à la banque... Mais le dilemme infernal qu’elle tourne seule dans sa tête, jusqu’à devenir folle, se résume à un choix de vie ou de mort. « À force de travail, à coups de 3 000 à 4 000 euros par an, on avait réussi à mettre de côté 40 000 euros en treize ans. On n’a pas de voiture, on vit dans une location et on se disait qu’avec ce petit apport, on allait pouvoir s’acheter quelque chose. »

Sans la Covid, Fanny tirerait aujourd’hui des plans sur la comète. Pas de château en Espagne, de villa de luxe avec piscine, elle en est bien loin... Mais peut-être un terrain à la campagne... « avec une roulotte dessus... c’était notre délire ». Sauf qu’aujourd’hui, sur le fil du rasoir et de la panique, Fanny, certains jours, se convainc qu’il faut peut-être cramer ce pactole de toute une vie en l’investissa­nt, sans doute à perte, dans son Barbecue si malade... Et ça lui fait mal !

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 ?? (Photo Frantz Bouton) ?? « Je ne veux pas de dettes, je veux travailler. »
(Photo Frantz Bouton) « Je ne veux pas de dettes, je veux travailler. »

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