Nice-Matin (Cannes)

Fontan caresse l’espoir d’un nouveau départ

Ce village de la Roya a mis fin à l’aide alimentair­e, afin de permettre la reprise des commerces. Ses habitants tentent de renouer avec la « vie normale », conscients que la route reste sinueuse

- TEXTES ET PHOTOS : CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Fontan, Terminus .Lenom de cet hôtel-restaurant, à l’extrémité nord du village, a retrouvé tout son sens. Naguère, un poste-frontière annonçait ici les limites du territoire français. C’était avant la Seconde Guerre mondiale. À présent, Le Terminus est la dernière étape avant la coupure de la RD , une poignée de kilomètres plus haut. La tempête Alex est passée par là, le  octobre. Une « bombe météorolog­ique », trois quarts de siècle après la guerre.

Les flots ont laissé des façades éventrées, des immeubles inoccupés. La musique ambiante a changé, elle aussi. Métamorpho­sé, le lit du fleuve joue une partition apaisée, sans le chant du torrent de la vie d’avant. La vie, justement, tente de reprendre un cours normal. Malgré le traumatism­e, les galères, la Covid. Mais avec un accès rétabli des deux côtés. Et avec l’espoir d’un nouveau départ.

On reprend la vie, malgré tout. Voir notre village comme ça, maintenant, on s’y fait. Même si beaucoup sont partis. J’ignore s’ils vont revenir... »

En short malgré la fraîcheur matinale, Christian Départ traverse le pont de Fontan pour rejoindre sa boulangeri­e Son patronyme a une résonance particuliè­re, ici et maintenant. Un nouveau départ, c’est bien ce qu’espère son village, sept semaines après la tempête qui lui a porté un coup d’arrêt.

Christian, 59 ans, est accompagné de Bellie, sa jeune Border Collie – « mon cadeau de Noël de l’année dernière ». Ce Noël-ci aura un parfum particulie­r. Mais Christian Départ ne se lamente pas. « Je suis content : je travaille. J’ai repris il y a un mois, pour que les gens puissent manger. Au début, j’ai eu du mal à me faire approvisio­nner en farine. Maintenant, mes produits arrivent de Nice. »

Sa petite boulangeri­e ne rouvre que le matin, de 8 h à 12 h 30. Son chiffre d’affaires a chuté de 40 %. « Mais on y arrive toujours », positive Christian. Il mesure « la chance » d’avoir de nouveau un accès vers Breil, même restreint. « On reste enclavés. Mais dans la haute Roya, c’est encore pire ! »

Le Beaujolais du renouveau

Baguettes, pains spéciaux, couronnes, michettes, viennoiser­ies... Le client qui franchit le palier de sa boulangeri­e a le choix. « Une vieille ? » « Y’a plus de vieille », répond la vendeuse. « OK, une jeune alors ! » Une pincée d’humour, une tranche de lien social : ingrédient­s précieux par les temps qui courent. La vendeuse en témoigne : « Les gens sont contents qu’il y ait toujours ce point d’intérêt, où ils se retrouvent, où ils ont des produits frais et leur pain. Psychologi­quement parlant, ça a l’air important. »

Pour la charcuteri­e, les fruits, les légumes et le reste, c’est la porte à côté. Celle de l’épicerie Briand. Les clients s’y succèdent dans un flux continu, avec le masque de rigueur. Une petite dame règle ses filets de dinde. Jocelyne, «71ansetdem­i» ,est venue pour les figatelli et le... Beaujolais nouveau « Et oui, on garde les traditions. On ne sait pas si on aura Noël, mais on a le Beaujolais ! »

On devine le sourire de Mélanie Briand, 40 ans, derrière son masque et la caisse. Pas facile, pourtant, d’aller se ravitaille­r à Nice quasi tous les jours. « On s’est débrouillé­s comme on a pu. On tente de reprendre une vie normale. Apparemmen­t, on y arrive. » Ici, le samedi, c’est poulet rôti. La demande est si forte qu’il faut une semaine d’attente.

L’aide alimentair­e dit adieu à l’église

Par les temps qui courent, « c’est un mets de luxe !, admet Mélanie Briand. Mais comme ça, on a l’impression de retrouver une vie un peu plus normale.

Et surtout, de faire plaisir à tout le monde. »

Le frais, voilà ce qui a manqué à la banque alimentair­e installée dans l’église Notre-dame-de-la-visitation. Philippe Oudot, le maire, a mis fin à la distributi­on de dons, pour aider le commerce à repartir. Maryse, Martine, Françoise, Rebecca, Christine, Laine : « une bonne équipe » de bénévoles s’affaire à vider les lieux. «Ona fait des colis nominatifs pour toute la population. Et on est en train de leur distribuer. Soit ils viennent les chercher, soit on va auprès d’eux. »

Elles peuvent compter sur Yves Dalbera et sa brouette À 67 ans, Yves a perdu onze véhicules avec son exploitati­on agricole. « Et pourtant, il a énormément aidé. Avec tout ce que tu as subi, tu mérites la médaille », saluent les bénévoles. Tapes affectueus­es. Yves est gêné, ému. Visage masqué, il confie : « Il me vient les larmes... » Oh, les bénévoles préviennen­t : la fin de l’aide alimentair­e ne signe pas encore le retour à la normalité. « Mais psychologi­quement, c’est bien que les gens se reprennent en mains. Là, ils ont de quoi se nourrir jusqu’à Noël ! » Christian Départ approuve : « C’est mieux. Il faut que les commerces travaillen­t aussi. »

« On tient à être là »

Sur le trottoir d’en face, le bar-tabac presse L’etape est ouvert. Devant l’entrée, Sylvain Ricci, 42 ans, et Christophe Briand, 54 ans, discutent autour d’un gobelet de café. Le premier est accompagna­teur en montagne. Le second, mécanicien carrossier. Tous deux sont à l’arrêt forcé. « Ça va être dur de repartir », s’inquiète Christophe. Sa femme, Géraldine Alarcon, relativise : « Par rapport à ceux de làhaut, on s’en sort bien, quand même. Je ne dirais pas ça à ceux qui ont perdu leur maison... Mais on garde le moral. » Et nous voici au Terminus L’hôtelresta­urant est « ouvert, si l’on peut dire », ironise son patron Pascal Toesca. L’activité est « quasi nulle ». Surtout en cette période, surtout par temps de Covid. « Mais on tient à être là. C’est comme un service. »

Un fier service, c’est ce que lui a rendu Benjamin Hernandez. Ce trentenair­e est venu de Breil pour déblayer avec une escouade de bénévoles, des tronçonneu­ses, « nos bras et le coeur ». Pascal Toesca loue son aide providenti­elle. Mais s’interroge. À bientôt 60 ans, il sait sa carrière plus proche du terminus que d’un nouveau départ. « Ça va être dur. Alors on va faire petit-petit, avec un employé. Parce qu’il y a une histoire, et que c’est à moi. On subsiste. C’est notre vie. »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Pascal Toesca au Terminus, Yves Dalbera à l’église, Mélanie Briand à l’épicerie, Christian Départ le boulanger : quatre visages du village.
Pascal Toesca au Terminus, Yves Dalbera à l’église, Mélanie Briand à l’épicerie, Christian Départ le boulanger : quatre visages du village.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France