Qui pourra mater le streamer Kevin Bordi ?
Ce Cannois, ancien grand espoir des échecs, diffuse en ligne ses parties endiablées, réunissant une communauté toujours plus grandissante
Quand on lui demande d’estimer son niveau à l’échelle d’un sport plus populaire, il se définit comme « un jeune espoir qui a arrêté sa carrière avant de passer pro ». Et pourtant, le jeune streamer [comprenez un diffuseur de vidéos en ligne] Cannois de 33 ans est déconcertant d’aisance lorsqu’il pose ses yeux et ses mains sur l’échiquier. Capable d’anticiper, de commenter et de contrer les stratégies adverses en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Kevin Bordi a cette capacité qu’ont tous les passionnés : donner l’impression que c’est facile. Un talent qu’il a travaillé de longues années, notamment en Russie, véritable terreau des virtuoses de la discipline. C’est sur les plateformes Twitch et Youtube, sous le nom de Blitzstream, que Kevin Bordi partage sa passion avec un maîtremot : l’amusement.
D’où est venue cette passion pour les échecs ?
Ça a démarré à l’âge de ou
ans. Je jouais avec la Game Boy de mon père et, je ne sais pas pourquoi, j’avais vraiment accroché avec un jeu d’échecs. Mon père l’avait remarqué et a décidé de m’apprendre les règles. Ensuite j’ai pu faire des échecs à l’école et mon professeur a fait savoir à mes parents que j’avais des capacités. Il m’a proposé d’intégrer Cannes échecs. De là, j’ai pu représenter la ville dans plusieurs tournois. J’étais dans les meilleurs du monde dans ma catégorie d’âge.
Puis vous êtes partis en Russie ?
Oui, j’y suis partie à ans par amour des échecs. J’y suis resté une dizaine d’années. J’étais dans mon élément et je suis vraiment tombé amoureux de ce pays. J’ai fait quelques tournois, mais j’ai aussi travaillé autour de la discipline, en tant qu’entraîneur notamment.
Et à ce moment-là, vous arrêtez votre carrière ?
Oui, ma carrière pour devenir pro, je l’ai arrêtée à ans. Je n’avais pas les capacités et le talent de rentrer dans le top mondial. Comme beaucoup de sport individuel, quand vous n’êtes pas dans les meilleurs, vous ne pouvez pas en vivre. Comme je ne pouvais pas y arriver, je me suis arrêté, mais je suis resté dans l’univers des échecs. J’étais tellement content d’être en Russie que j’ai plutôt bien encaissé la nouvelle.
Sur l’implication physique et mentale, vous diriez que les échecs sont un sport comme les autres ?
C’est difficile à définir. Un ami russe m’a dit un jour que le jeu d’échecs est comme un art martial. Je suis totalement d’accord avec ça, car c’est comme un combat pour moi. Il est intellectuel, mais tu prends et tu donnes des coups. Ils ont une portée psychologique qui fait qu’on les encaisse physiquement. Un bon joueur a une reconnaissance des schémas, une capacité de calcul et de visualisation, ainsi qu’une bonne mémoire.
Vous êtes donc passé du physique au virtuel avec votre chaîne Blitzstream sur Twitch et
Youtube ?
Il y a neuf ans, je m’ennuyais le soir en rentrant du boulot. J’avais envie de jouer aux échecs, sauf que je n’avais plus le temps de faire des compétitions. La plateforme Twitch venait de s’ouvrir et ce n’était pas si compliqué de lancer un flux vidéo en direct, alors j’ai tenté. Je me suis dit qu’on ne serait que ou , mais finalement la chaîne a grandi au fil du temps, jusqu’à ce que je puisse en vivre grâce à des abonnements et des soutiens. Il y a en moyenne spectateurs sur Twitch, et sur Youtube, je cumule abonnés et près de visionnages par vidéo. C’est pas mal pour des échecs [rires].
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Le jeu d’échec est comme un art martial”
Qu’est-ce qu’on retrouve en regardant vos vidéos ?
En premier lieu, je veux me retrouver sur le verbe « jouer ». On dit le « jeu d’échecs », on parle donc d’amusement, de fun. Tout en faisant de la pédagogie pour faire progresser. Le message c’est qu’on joue tous à notre niveau, on progresse à son rythme mais on a un point commun, c’est qu’on s’amuse. Je veux que ce soit le point central de mes vidéos.
À quoi ressemble votre audience ?
Parmi les habitués de mon tchat, il y a Maxime Vachier-lagrave, le n° mondial, et Étienne Bacrot, octuple champion de France. Le reste, ce sont plutôt des amateurs de tous niveaux. Au niveau de l’âge, la plus grosse tranche est composée de - ans. Dans la vie, on dit souvent qu’on joue aux échecs avec ses grands-parents. Le lien intergénérationnel fonctionne en ligne aussi : l’un des habitués à ans. Il n’y a de barrière pour personne.
Ce jeu a une réputation d’être un peu austère. Vous voulez briser les clichés ?
Oui, car ce n’est pas vrai. C’est un jeu amusant, pratiqué par des gens très amusants. Il n’y a qu’à voir les vidéos pour s’en rendre compte. J’essaie de dépoussiérer cette image mais elle nous colle à la peau. On donne une étiquette mais on n’est pas obligé de se coller à elle, on peut rester comme on est.
Ça mériterait d’être médiatisé ?
Oui clairement. Ça commence à prendre sur Internet mais c’est encore timide en France. Quand il y a des belles performances françaises, comme celle de Maxime Vachier-lagrave, ce serait sympa d’en entendre parler plus souvent. Si un format se développait à la télé, je serais vexé de ne pas en faire partie [rires].
Ce sport est sous les projecteurs ces temps-ci. Le confinement y est pour quelque chose ?
Il y a eu un gain de popularité au printemps dernier. On s’est tous retrouvé enfermé chez nous et du coup les gens avaient du temps pour jouer aux échecs. Il y a eu un heureux hasard, c’est ce second confinement qui coïncide avec le buzz de la série Le Jeu de la Dame. Ça a été l’étincelle qui a confirmé l’engouement du premier confinement. Cela met une forme de pression. Comme il y a de nouveaux joueurs, il faut assurer derrière en proposant du bon contenu.
Un échiquier sous le sapin, bonne idée ?
Fantastique, c’est le plus beau des cadeaux de Noël [rires]. Il a une double utilité, il permet de joueur aux échecs et c’est un très bel objet de déco !