Nice-Matin (Cannes)

Mireille Darc, une enfance toulonnais­e

Née en 1938 à Toulon où sa mère a tenu durant des années une épicerie au quartier des Routes, la « grande sauterelle » était une enfant blessée.

- NATHALIE BRUN

Aujourd’hui je suis heureuse, j’ai la célébrité, la jeunesse, des gens que j’aime autour de moi, et qui me donnent intellectu­ellement beaucoup de joie ». En 1970, assise en tailleur dans un profond divan, Mireille Darc se penche sur sa courte existence devant la caméra de RTF, en jouant au solitaire. Au sommet de la célébrité, celle qu’audiard appelait affectueus­ement « la grande sauterelle » rayonne de sensualité et ne semble pas trop se prendre au sérieux. Mais quelque chose dénote dans le regard de biche bravache et dans la voix un peu voilée. « Mon vrai nom, c’est Mireille Aigroz, mon père est un horticulte­ur suisse. J’ai eu une enfance disons pauvre, même très pauvre. Ma mère m’a eue vers 45 ans. C’est un peu méchant de dire ça, mais c’était presque des grands-parents. J’ai eu de la chance que mes parents ne s’intéressen­t pas à moi, j’étais libre… ». Alors en couple avec Alain Delon qu’elle a rencontré lors du tournage de Jeff de Jean Heman (dit Jean Vautrin) – et qu’elle aurait de prime abord traité de « gonzesse » – Mireille est un sex-symbol et l’une des icônes les plus populaires du cinéma français. À trentedeux ans, elle tourne avec Audiard, partage l’affiche avec Jean-paul Belmondo et Louis de Funès. Toulon et le Pont du Las sont bien loin… « J’ai envie de représente­r une fille libre, responsabl­e d’ellemême, qui ne dépend de personne, ni d’une société, ni d’un homme, ni d’une morale… C’est ça qu’il m’intéresser­ait de représente­r auprès des jeunes »

Métamorpho­ses

Dans le quartier, aujourd’hui encore, quelques anciens se souviennen­t de la petite Mimi, à des années-lumière de l’incandesce­nte Mireille Darc. Le vilain petit canard s’est mué en cygne. « On la voyait environ une fois par semaine au cinéma du quartier des Routes où elle allait avec sa mère. Ce n’est qu’après qu’on a compris que c’était elle », se souvient Xavier qui a grandi lui aussi dans ce quartier populaire de l’ouest toulonnais où Gabrielle, la mère de Mireille, a longtemps été épicière, et son père, Marcel, jardinier. « Jeune, elle ne ressemblai­t pas du tout à ce qu’elle est devenue par la suite », raconte une habitante qui fréquentai­t elle aussi l’école de Valbourdin, où la fillette a fait ses classes. « J’avais un physique assez ingrat. J’étais grande, maigre, brune, noire même. Je ressemblai­s un peu à un chat écorché. Je n’avais pas spécialeme­nt beaucoup de succès avec les garçons à Toulon… », expliquait l’actrice qui a connu une enfance difficile.

Née en 1938, elle a deux grands frères. Ils ont quitté la famille pour voler de leurs propres ailes, et elle s’ennuie à la maison. Son père qui n’est sans doute pas son père biologique, l’appelle la bâtarde et la terrorise. Gabrielle la protège comme elle peut. L’ambiance est plutôt glauque, sur les bords du Las, et les fins de mois sont difficiles. Un bagage que Mireille portera toute sa vie. Fuir Toulon, devenir « une fille libre et indépendan­te », aimée, adulée… Quelle plus belle revanche pour cette enfant qui s’est toujours sentie rejetée ?

C’est un vélo que lui offre son frère Maurice, avec sa première solde de militaire, qui va lui permettre de prendre son envol, d’aller flâner dans les beaux quartiers du centre-ville, de s’inscrire à un cours de danse, de faire du théâtre au Conservato­ire de Toulon où l’enseigneme­nt est alors gratuit. Très vite, elle fait ses premières télés. Aux Routes, elle reviendra souvent voir Gabrielle qui décédera en 1993.

Le papillon sort de sa chrysalide et la métamorpho­se est stupéfiant­e. Très tôt, Mireille qui n’aime pas son nez, a recours à la chirurgie. Elle change sa couleur de cheveux pour un blond platine. « J’étais brune, j’étais triste. Je suis blonde, je me sens gaie ! », lâche-t-elle.

Une miraculée

Les films et les succès s’enchaînent. Les drames aussi. De graves problèmes cardiaques qui lui valent une première opération à coeur ouvert à 41 ans, la paralysie évitée de peu après un terrible accident de voiture, son impossibil­ité d’avoir des enfants et sa rupture avec Delon qui la laisse exsangue.

Puis la perte du deuxième homme de sa vie, le P.-D.G. d’europe 1 et ex-patron de l’express, Pierre Barret, emporté par un cancer. Mais la sauvageonn­e du Pont du Las est devenue une battante, une super résiliente et certains disent même une miraculée. Elle qui a si souvent tutoyé la mort, c’est à travers ces mauvais coups du sort qu’elle puisera sa force et mènera sa carrière. En 1988, Mireille Darc passe derrière la caméra pour réaliser des documentai­res et des reportages forts et profonds, tournés vers les autres. Elle trouvera enfin le bonheur – et une vraie famille – avec l’architecte Pascal Desprez et ses beaux-enfants.

À sa façon, elle exorcisera aussi Toulon, le port de l’angoisse… Elle publiera chez XO Editions “Mon père, un récit troublant où elle se livre sur ses recherches métaphysiq­ues à la rencontre de ce géniteur qu’elle n’a jamais connu. Elle y raconte avoir trouvé, par l’intermédia­ire d’une médium, l’identité de ce vrai père, mort en Indochine. Un être flamboyant. « Pour la première fois de ma vie déjà longue, je me sens heureuse et légère », disait-elle alors.

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J’ai eu une enfance pauvre”

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Je suis une femme libre”

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L’actrice dans les années soixante-dix. (Photo NM)

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