« On n’a pas encore inventé la nuitée à emporter »
Autorisés à rester ouverts, mais fermés pour cause de disparition de toute activité touristique, les hôteliers azuréens, quand ils ne sont pas adossés à de grands groupes, sont au bord du précipice
Pas de bras, pas de chocolat. L’humour nihiliste d’un Pierre Desproges leur irait presque comme un gant. Pas de « check in », pas de beurre dans les épinards. Rue de la Buffa dans le vieux meublé décati qu’ils ont métamorphosé en hôtel de charme, les deux F, Fabrice et Fabio, la cinquantaine classieuse, ont le sentiment d’être les hommes invisibles de la pandémie. Leur « Arôme Hôtel » est ouvert… Mais, derrière une trompeuse façade de normalité, c’est l’asthénie professionnelle totale. « Je ne sais pas si le gouvernement le sait, mais le « clic and collect », c’est un peu compliqué pour nous. On avait pourtant bien pensé à vendre des nuitées à emporter… ! »
Le petit accent italien de Fabio, ce Romain longtemps propriétaire avec son compagnon d’un hôtel dans le XIVE à Paris, se veut volontiers impertinent. Devant leur télé, mardi soir, les deux F ont désespérément attendu qu’emmanuel Macron évoque le sort réservé aux hôteliers. Pas un mot. Et comme, hier matin, il n’était pas branché sur la radio pour écouter Bruno Lemaire rectifier un peu le tir (lire en encadré), ils sont désespérés.
Leur horizon ressemble au « Désert des Tartares ». «Le planning des réservations est vide… à perte de vue. A trois, six mois, un an pas une réservation. Enfin, non, je mens : on a quelqu’un demain pour une nuit… et une autre résa, encore pour une nuit, le 18 janvier ».
Pas fermé, mais échoué
Quand les palaces de la Côte, adossés pourtant à de solides groupes financiers, souffrent, les petits, les indépendants sont au bord du gouffre. Leur « Arôme Hôtel » est le projet d’une vie. « En vendant nos parts dans l’hôtel de Paris, on a pu financer le fonds de commerce. Parce qu’on est tombé amoureux fou de Nice, on a tout investi ici… sans parler des 500 000 euros de prêt qu’on a contracté pour rénover de fond en comble l’hôtel. Ça fait trois ans. On a une bonne clientèle internationale. On ne roulait pas sur l’or, mais on se disait qu’on avait fait le bon choix. » La pandémie a tout changé. Sauf qu’alors que les fermetures administratives tombent, pour les discothèques, les restos, les bars, les hôtels eux passent entre les gouttes : « On nous laisse ouvert, ce qui ne nous donne pas accès à toutes les aides, déjà souvent pourtant bien insuffisantes au regard du cataclysme économique… On ne coule pas comme les confrères de la restauration, mais on est échoué… et ça ne fait guère de différence ».
La complainte du commerçant au bord de la faillite, Fabio se l’épargne. Beaucoup par pudeur, un peu par fierté. Le PGE de 50 000 euros – « de dettes », précise-t-il – leur a octroyé un sursis. Jusqu’à quand ? C’est leur angoisse « On a mesuré que le virus allait jouer avec nos nerfs de vagues en nouvelles vagues. Notre seul espoir, c’est le vaccin. Seul un vaccin peut permettre à Nice de redevenir la ville sublimissime qu’on vient visiter de tous les coins de la planète. Et à nos activités d’éclore de nouveau ».
Sauf qu’en l’état, la crainte majeure des deux F c’est que leur « job » se fane à jamais avant la survenance de cette libération sanitaire.