Nice-Matin (Cannes)

Robin Renucci « Renouer avec le rêve »

Faute de pouvoir jouer, Robin Renucci et sa troupe Les Tréteaux de France ont passé une semaine en résidence à Châteauval­lon pour répéter la pièce Oblomov, adaptée du roman de Gontcharov.

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Le reconfinem­ent a tiré – pour le moment – le rideau sur les représenta­tions théâtrales mais pas sur la création. La preuve en est avec Oblomov (1), pièce montée par Robin Renucci et sa troupe Les Tréteaux de France. La compagnie et le metteur en scène ont passé une semaine en résidence à Châteauval­lon, à l’invitation du directeur de la scène nationale toulonnais­e Charles Berling. Les comédiens ont tout de même interprété cette oeuvre tirée du roman d’igor Gontcharov adaptée par Nicolas Kerszenbau­m devant un parterre de profession­nels triés sur le volet. À travers ce portrait d’un homme apathique, oisif assumé incapable d’avancer, le metteur en scène Robin Renucci poursuit un cycle théâtral consacré à la valeur, la richesse, dont le temps est une illustrati­on.

Oblomov

correspond bien à notre époque, non ?

C’est un homme confiné c’est vrai. C’est aussi l’expression d’une crainte, celle de céder à la suractivit­é du monde, c’est la peur de perdre du temps. D’une certaine manière, Oblomov gagne du temps mais il perd sa vie. La question du temps est permanente : courir après, ne pas pouvoir s’ennuyer pour les enfants, être suractif… Quand on arrive à  ans, on a passé

  heures de temps sur terre ! Et on peut vivre davantage. Le temps est une vraie valeur dans l’existence. On dit bien que le temps c’est de l’argent. D’une manière ou d’une autre, Gontcharov nous fait réfléchir à notre temps pour vivre, à notre désir également.

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Le contraire de la sidération, c’est le désir”

Monter cette pièce vous a fait réfléchir à votre vie ?

(Il sourit) J’y pense toujours. Moi je la vis pleinement, en portant une grande attention aux autres car nous sommes des êtres sociaux, aussi. Cette pièce nous ramène également à notre condition d’humains au milieu de la nature. Ici, on a des individus qui vivent essentiell­ement dans la ville, ils ont perdu le sens de la nature, le goût de la relation avec les autres. Ils s’enferment, comme certains le font de nos jours, sidérés devant leurs instrument­s numériques. Au Japon – et pas seulement d’ailleurs –, on assiste au phénomène des hikikomori : des adolescent­s, des jeunes adultes qui ne veulent plus sortir de leur chambre, de chez eux. Ils perdent tout désir.

Comment y remédier ?

En continuant à désirer. Le contraire de la sidération c’est le désir et pour cela, il faut arrêter d’être pétrifié, il faut renouer avec le rêve, et l’imaginaire. L’imaginaire participe à la santé mentale, la préserve... Or certains aimeraient bien que nous n’imaginions plus. C’est pour cela que le service public de la culture, et moi le premier en tant que président des Centres dramatique­s nationaux, est mobilisé pour aller à la rencontre des jeunes publics.

Vous avez en effet dénoncé un « confinemen­t mental », notamment vis-à-vis des jeunes lors de la décision du gouverneme­nt de fermer les lieux culturels. Vous êtes toujours en colère contre cette mesure ?

Je ne suis pas vraiment en colère, je pense surtout que le Président de la République a perdu une occasion absolument formidable de nouer un lien privilégié entre l’école et la culture. Les enfants pourraient très bien assister, classe par classe, à des représenta­tions théâtrales. Nous partageons la responsabi­lité sanitaire bien sûr, mais les lieux de spectacle ne sont pas des clusters. Et depuis quelques jours, on passe encore plus à côté en privilégia­nt le culte à la raison. Or, nos sociétés ont moins besoin de croyances que d’esprit critique et de discerneme­nt. Libérer la croyance par rapport à l’esprit critique et le discerneme­nt dans le pays des Lumières, on peut se poser la question…

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Aujourd’hui, on a privilégié le culte à la raison !”

Elle révèle quoi cette crise sanitaire finalement ?

Elle nous dit combien l’emprise de l’homme sur la nature depuis plus de deux cents ans est une grave erreur. La naturalité est complèteme­nt bousculée par l’écosystème, la biodiversi­té. Nous sommes aussi abîmés dans notre commune humanité. Socialemen­t également. Si l’homme n’est plus dans le contact, il perd sa capacité de comprendre, de s’élever, de croire qu’il peut participer à changer le monde. C’est pourquoi il faut chercher à développer l’éducation artistique et culturelle de la jeunesse, des enfants, pour aiguiser leur singularit­é. Je crois que nous paierons très cher le fait d’avoir interdit l’accès aux livres en fermant les librairies !

La culture va-t-elle s’en relever ?

Je crois oui, bien sûr. La culture c’est l’imaginaire de l’homme.

Elle s’est relevée du fascisme, du nazisme et des camps de concentrat­ion. Elle se relèvera à condition que l’homme puisse, lui, se redresser. Or d’une certaine manière, beaucoup d’hommes sont à genoux aujourd’hui dans notre société…

On a beaucoup manifesté en France ces derniers jours contre la loi de sécurité globale. Êtesvous inquiet des atteintes aux libertés individuel­les ?

Oui je le suis. Mais je pense aussi que notre liberté est rognée de notre plein gré. Oblomov renie une partie de sa liberté le premier en agissant comme il le fait. Beaucoup de gens sont dans ce schéma. Et c’est notre devoir, dans le service public, de redonner les outils pour nourrir le désir de liberté, même s’il est anémique. Avant qu’il ne soit trop tard. L’éducation, les arts, l’école, sont des lieux d’émancipati­on et d’élévation.

Pour finir, vous ferez-vous vacciner ?

Oui bien sûr, la santé pour moi est très importante. C’est la question de la croyance et de la raison qui reprend le dessus, par rapport à ce que l’on peut entendre sur le sujet. Il faut se préparer de toute manière car d’autres pandémies arriveront, peut-être encore plus complexes. Il faut avancer avec la science, et avec l’institut Pasteur à qui je fais confiance pour ça. 1. La pièce était programmée à Châteauval­lon les 27 et 28 novembre, et à Draguignan le 12 décembre.

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