Nice-Matin (Cannes)

La séparation avec le club a été rude. Je n’ai pas été bien pendant trois mois.”

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En résumé : « Enfin libre après quatorze ans à la tête du RCT, j’en ai fini avec le rugby et sa très haute bourgeoisi­e.

Je vous dévoile toutes les coulisses de mon aventure, moi le saltimbanq­ue atypique qui ne prend rien au sérieux. (...) Je n’imaginais pas rester si longtemps au RCT, où j’ai fait venir seize champions du monde, gagné trois Coupes d’europe et le championna­t de France. Mais j’ai vu mon club dépérir après trop de victoires tandis que nous sommes passés de l’entente à la détestatio­n avec mon repreneur »

J’en savais trop... Solar Edition, de Mourad Boudjellal et Arnaud Ramsay (journalist­e, auteur de BD).

368 pages. 18,90 euros.

Parution : le 3 décembre 2020.

Dossier : F. MICHELIER et O. BOUISSON Photos : Laurent MARTINAT

Dans le livre, vous évoquez votre dernière à Mayol ( décembre ) comme une vraie souffrance.

Ça m’a fait mal. La veille de ce match face à Clermont, on m’a demandé de ne pas parler. Je l’ai fait de force, j’ai pris le micro et je suis parti à la mi-temps. Depuis, je n’ai plus mis les pieds à Mayol. C’est une vraie cassure de ne pas avoir dit au revoir aux joueurs ou à des gens avec qui je bossais depuis  ou  ans.

Ce n’est pas forcément la fin que vous imaginiez…

Je suis requinqué, mais pendant trois mois je n’ai pas été très bien. Ça a été dur de baisser la tête, de lire ce que l’ont a dit sur moi. La séparation a été rude, j’étais attaché à cette histoire. Je ne voyais pas mon départ comme cela. Quand on commence un projet, on pense à sa sortie.

Et ce n’est pas celle que j’espérais. J’imaginais un truc avec des étoiles, sympa, comme on a pu offrir à Bernard Laporte. Mon passage au RCT, c’est tout de même dix finales. On en a perdu, certes, mais il faut y arriver. Sur mon mandat, le club a plus joué de finales et gagné de titres que dans toute son histoire. On a construit le club pour le monde profession­nel. En arrivant, je savais qu’il y avait un héritage. Et en partant, je savais aussi que dans l’histoire du club il y a  ans derrière, pas seulement mes  années. Sans les  ans, il n’y a pas mes années. Et le club n’a pas eu un trou entre  et .

Dans votre livre, Bernard Lemaître, votre successeur à la tête du RCT, est très présent et vous ne l’épargnez pas…

Je raconte l’histoire. Je n’ai rien contre lui personnell­ement, juste contre son attitude. Je suis respectueu­x, mais je trouve qu’il n’a pas été franc du collier. Je n’aime pas ça. Je comprends tout à fait qu’en cours de route, il ait envie de ça. Moi, je voulais partir, ça tombait bien. Ce que je ne comprends pas, c’est ce besoin de dire : « Je ne veux pas, mais on me force » ou « Je ne veux pas me présenter au comité directeur, mais on m’a demandé de le faire », « Je ne veux pas être président du RCT, mais je le fais pour sauver le club… » Non, c’est plutôt « je le fais car j’ai envie de l’être et j’ai envie de prendre mon kiff » et il en a le droit. Il a envie d’y aller, qu’il le dise ! Il a  ans, il est brillant. Tu as envie de flatter ton

Comment expliquez-vous cela ?

Il a résumé tout ça par une forme de contrainte en disant : « Si je ne suis pas là, le club est en Fédérale  ».

Mais il se prend pour qui ? Sans lui, déjà, il n’y aurait pas les mêmes comptes car il y a plein de choses qu’il a poussées. Moi, je n’aurais certaineme­nt pas eu le même recrutemen­t, je le reconnais.

Je n’ai pas de soucis à trouver du financemen­t. Il a répété à tout le monde que je laissais un déficit.

J’ai dû me reconstrui­re sur cette image que l’on a donnée de moi. Ça m’a étonné, alors j’ai repris mes comptes. J’ai vérifié mes acquis pour savoir si je savais diriger une entreprise. Eh bien, je ne suis pas trop mauvais et accessoire­ment, j’espère que beaucoup de présidents du Top  auront un héritage comme celui que j’ai laissé. Je pense que j’ai un peu fait bouger le rugby.

Au départ, votre entente semblait cordiale avec Bernard Lemaître. Quand avez-vous compris que vous étiez de trop ?

Lorsqu’il dit qu’on ne peut pas être deux coqs dans le poulailler. Je trouvais ça crétin. D’autant que si je quitte le poulailler, les poules n’ont plus rien à craindre. Je crois que ça a clashé quand il a eu deux pages dans L’équipe. Il s’est baladé avec ses deux pages, j’ai senti que ça le flattait, qu’il aimait ça. Je me suis dit que ce mec, qui est brillant, qui a passé  ans dans l’anonymat, vient de découvrir la notoriété et ça lui plaît. Il y a aussi une responsabi­lité de ma part, je n’avais plus envie.

Dans le livre, vous écrivez aussi qu’il n’apprécie pas que vous puissiez lui tenir tête.

Il n’aime pas ça, il veut être le dernier à parler, c’est vrai. C’est propre aux grands chefs d’entreprise. Il a une cour autour de lui de gens qui disent “amen”. Moi, je ne sais pas faire ça.

Bernard Lemaître a souvent évoqué le déficit que vous avez laissé. Vous vous en défendez dans le livre…

Il parle de  millions. Mais quand il entre, on est entre  et  millions de passif. C’est lié aux deux saisons de merde. Face à ça, on peut vendre un peu d’actifs (Tuisova par exemple), on fait attention au recrutemen­t, puis on réinjecte un peu ou je fais rentrer quelqu’un de minoritair­e.

Je peux aussi faire un emprunt. Lemaître est ambitieux. Il me dit qu’il veut gagner. On signe un accord dans lequel il est dit que l’on mène une politique ambitieuse, qui va générer d’importants déficits.

C’est écrit noir sur blanc. Je veux bien qu’on parle de passif, mais qu’on évoque aussi les actifs.

Quels sont-ils ?

J’ai refusé une offre de reprise à  millions, Bernard le sait, il l’a vue. Je ne vends pas car je me suis engagé avec lui. Avec un club comme le RCT, il n’y avait aucun problème à trouver un financemen­t. Qu’il se paie un kiff, mais qu’il ne nie pas l’héritage. Il arrive dans un club qui a de la valeur, avec des actifs de partout.

J’ai amené un terrain pour le centre de formation qui vaut des millions d’euros. Si la Ville donne la concession au club, c’est lié au service rendu, aux années passées. Les actifs formation au club, c’est plusieurs millions d’euros. J’amène un actif partenaria­t, tu n’as rien à faire tu as  millions. Il y a une vraie image de marque. La notoriété du club, son image, ses audiences. D’où ça vient, ça ? Un président ça sert à créer de la valeur et c’est d’ailleurs là-dessus qu’on jugera Bernard Lemaître, pas sur sa capacité à mettre de l’argent.

Il a tout de même financé le nouveau centre d’entraîneme­nt…

C’est faux ! Le club a emprunté  millions d’euros sur  ans et j’en suis caution. Il a mis de l’argent, certes, mais il y a eu des subvention­s. Je lui ai amené le terrain. C’est le plus cher, il y a  hectares tout de même, à une sortie d’autoroute sur l’axe

Nice - Marseille. De toute façon, il ne serait pas venu sans le terrain. Je n’y suis pour rien s’il a voulu ce centre d’entraîneme­nt. Je l’aurais fait aussi, mais j’avais un autre projet. Celui de négocier avec la Ville pour faire un centre de business et sportif. Je finançais le sportif par un promoteur immobilier qui construisa­it des bureaux. Lui est parti sur autre chose, je respecte cela, mais le fait est que cela a coûté beaucoup plus cher que prévu. Ça, je n’y suis pour rien.

Quel est votre ressenti aujourd’hui vis-à-vis du RCT ?

Je ne suis pas aigri, je souhaite au club de gagner. J’ai vécu ce que j’avais à vivre, j’ai apporté ce que je pouvais de mieux à ma ville. J’ai toujours été sincère, je veux passer à autre chose, je n’ai plus envie de me prendre la tête. Je ne veux plus dire du mal de personne et entendre du mal de moi. Je souhaite que le RCT gagne et rende heureux les gens. L’héritage est beau, les Carbonel, Gros, Rebbadj, c’est la génération Wilkinson. On a redonné à la ville la notion du très haut niveau.

Un regret tout de même ?

Ce qui me déçoit, c’est de ne pas avoir de places à Mayol. Aujourd’hui, je dois payer ma place. Quand je suis arrivé, j’ai créé un espace pour les anciens présidents du RCT, même pour ceux que je n’apprécie pas. Le RCT est une entité morale, ce n’est pas le problème de Mourad Boudjellal. Qu’il intègre ça. Ce n’est pas « Bernard Lemaître rugby club ». J’ai un passé avec le RCT. Quand ma fille veut aller au stade et que je suis obligé de demander des places à des partenaire­s, oui ça me choque.

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On jugera Bernard Lemaître sur sa capacité à créer de la valeur.”

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ego, pas de problème. Au contraire. Il se vit une aventure, qu’il en profite !

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