Pierre Joannon le coeur toujours vert
Consul général d’irlande depuis 1973, éminent auteur, Pierre Joannon, qui partage sa vie entre Cannes et Antibes, est éperdument amoureux de l’île celtique. Le fruit d’un pur hasard.
Nous devions partir en voyage en Écosse. Mais...”
Il y a l’auteur. Histoire, politique, religion : incontournable, intarissable plume depuis 1973 et son premier ouvrage. Le diplomate. Inlassable, à pied d’oeuvre pour le rapprochement des deux pays. Depuis 73, aussi, année charnière : il devient consul général pour la région, poste qu’il occupe toujours.
Il y a l’homme, bien sûr. Amoureux éperdu : d’un décor, d’une culture, d’un peuple. Le coeur vert, irrigué par un sang émeraude. Au confluent de ces trois facettes, une même passion : l’irlande. L’eire, comme ils disent là-bas. Adoration de 60 ans, que l’île celtique lui a si bien rendue. En 1997, sur intervention du Premier ministre, John Bruton, il est fait citoyen irlandais ; et, ce 16 mars, Pierre Joannon a été élu membre de la Royal Irish Academy [lire encadré]. « Si vous m’aviez dit ça à 20 ans, je vous aurais dit d’arrêter de boire » plaisante-t-il, au sujet de cette idylle d’abondance. Vingt ans. Quand tout a commencé... par le plus fortuit des hasards.
Depuis son appartement, avenue du roi Albert 1er, vue imprenable sur la cité des festivals ralliée en 2006, après (presque) toute une vie antiboise, il rembobine la machine à souvenirs. « En 1964, avec ma femme Annick, nous devions partir en voyage de noces en Écosse. Mais, en ouvrant Nice-matin, on a vu qu’il y avait une épidémie de typhoïde conséquente. »
Alors, les deux étudiants en droit à la fac de Nice optent pour l’île voisine. Coup de foudre.
« On savait tout juste placer l’irlande sur une carte. On est restés un mois, il pleuvait tous les jours, rit-il. Ona adoré : les paysages, les gens, dont certains restent des amis très chers. Ce caractère très franc, direct, drôle. Très méditerranéen, en fin de compte. » Pourtant, dès l’arrivée dans une Belfast alors en paix, il a tenté le diable : « Le jeune homme qui nous a tendu les clés de la voiture de location a dit : “Ici, ne parlez jamais de religion, ni de politique.” J’ai fait les deux et ce ne s’est pas si mal passé. »
Subjugué par la découverte, il n’a plus que l’irlande en tête : « J’ai bassiné mes profs. Si bien qu’ils m’ont dit : “Fais ta thèse dessus.” »
En 1972, il produit 818 pages sur les deux constitutions de 1922 et 1937. Document religieusement conservé dans son imposante bibliothèque.
Arrive, ensuite, cette fameuse année charnière, avec un premier livre, sobrement intitulé Histoire de l’irlande, sa nomination au poste de consul et la fondation d’une revue universitaire dont il restera rédacteur en chef jusqu’en 2001. Suivront des dizaines d’ouvrages (Histoire de l’irlande et des Irlandais demeure une référence, comme les biographies de Michael Collins, William Butler Yeats, John Hume...). Parcours qu’il observe, aujourd’hui, avec le même émerveillement qu’hier. Puis il y a, toujours, cet acte manqué écossais. « Le hasard, la Providence, Dieu... Appelez ça comme vous voudrez. Après, vous saisissez votre chance ou pas mais, la liberté totale de décision, je n’y crois pas un instant. »
Les siens, non plus, n’ont pas eu le choix. Ses enfants, Yann, l’aîné, directeur des Voiles d’antibes, et Stephen, expert en art moderne. « Ils adorent ce pays ! Bon, ils y ont été biberonnés. Pas au whisky, ni à la Guinness. Enfin, pas tout de suite...» Virus familial.
Une fascination personnelle, contrariée par la Covid, qui l’empêche de rejoindre, autant qu’il le voudrait, sa résidence secondaire dans le Connemara. Professionnelle aussi, pour un pays dont l’histoire – celle d’une « colonie européenne d’un pays européen, qui a tracé la voie de la décolonisation au XXE siècle » –liéeà celle de la France, ne cesse de le surprendre.
« Avec le Brexit, on devient le premier voisin de l’union européenne de l’irlande. On redécouvre des intérêts communs, mais ça ne date pas d’hier. Des évangélistes qui ont rechristianisé notre pays après l’époque barbare, jusqu’aux liens avec la Révolution de 1848. Mais bon, pour tout dire, il vous faudrait un journal entier. »
Toujours vert, Pierre Joannon a accepté, à 77 ans, de siéger à la fondation John and Pat Hume, qui promeut la réconciliation et de résolution non-violente des conflits armés.
Avec, justement, un espoir pour cette Irlande divisée. « Si l’écosse obtient son indépendance, il va y avoir rupture géographique avec l’angleterre [pour l’irlande du Nord] et la problématique de la réunification va, de nouveau, se poser. Ce n’est pas pour demain, mais ça reste parfaitement envisageable d’ici dix, quinze ans. » Et il aura, sans nul doute, apporté sa pierre à l’édifice...
On m’a dit : ici, ne parlez ni de religion, ni de politique”