Nice-Matin (Cannes)

La partie d’ulama

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Les peuples amérindien­s pratiquaie­nt jadis un jeu de balle rituel qu’on nomme ulama chez les Aztèques (pitz chez les Mayas). Il s’agissait de faire passer un balle de caoutchouc par un anneau de pierre fixé en hauteur. Une sorte de basket-ball en somme. Mais un basket un peu spécial : outre la difficulté de l’exercice (on n’avait pas le droit de toucher la balle avec les mains ni avec les pieds), certains archéologu­es assurent qu’à l’issue de la partie, les vainqueurs avaient l’insigne honneur d’être sacrifiés. Pas les vaincus : les vainqueurs.

On pensait à cela, hier, en voyant Xavier Bertrand annoncer (pour la quatrième fois, si l’on compte bien) sa candidatur­e à la présidence. Avec M. Le Pen, J.-L. Mélenchon, A. Hidalgo, Y. Jadot, N. Dupont-aignan, F. Roussel et d’autres dont le nom nous échappe, plus bien sûr E. Macron qui est, en quelque sorte, qualifié d’office, ils sont une douzaine qui brûlent de participer à la prochaine partie d’ulama. Avec fort peu de chances de gagner. Et pour le vainqueur, la perspectiv­e d’être équarri sur l’autel de la démocratie d’opinion.

Pour mémoire, rappelons que tous les Présidents élus depuis , tous, ont rapidement vu leur popularité s’effondrer, chacun se retrouvant bientôt plus impopulair­e que son prédécesse­ur à la même date (sauf Macron qui fait mentir la série). Et ceux qui n’ont pas eu la « chance », comme Mitterrand et Chirac, de perdre les législativ­es intermédia­ires, ont échoué à être réélus.

On se souvient du cri du coeur du socialiste Bracke au soir de la victoire du Front populaire : « Enfin les difficulté­s commencent ! » Emmerdemen­ts serait plus juste. Et encore en dessous de la vérité. L’elysée n’a jamais été un fleuve tranquille. Mais convenons que nos derniers chefs d’etat ont été gâtés. Chirac s’est payé la grande grève de  et les émeutes de . Sarkozy, la pire crise financière depuis . Hollande, le terrorisme islamiste. Macron, la crise des « gilets jaunes » et l’épidémie la plus cruelle depuis la grippe « espagnole » de -.

Pas de quoi décourager les vocations, pourtant. Ni susciter l’indulgence du jury populaire. Comme disait Sarkozy, « dans ce pays, on coupe la tête des rois ».

Tout pouvoir expose à la critique ; c’est la règle. Mais il y a dans la relation obsessionn­elle et quasi pathologiq­ue qu’entretient le peuple français avec ses présidents un particular­isme qui intrigue et mérite d’être creusé. Car enfin, Thatcher, Kohl, Merkel, Bush ou Obama sont la preuve qu’il n’y a pas de fatalité de l’impopulari­té.

Il nous semble que l’exception française, le syndrome de l’ulama, tient à quatre facteurs au moins, qui se renforcent mutuelleme­nt

La culture du doute et de la défiance, plus forte en France que partout ailleurs. Tout ce qui vient d’en-haut (le fameux « ils ») est suspect. C’est notre côté « gilet jaune ». Ou sans-culotte.

L’hypertroph­ie du politique, qui porte à surestimer la capacité de la politique à changer les choses et ignorer les obstacles (internatio­naux, financiers, juridiques etc.). Yaka-faukon !

L’hyper-présidenti­alisme, né de l’usage autant que de la Constituti­on, qui focalise sur un homme toutes les attentes et les frustratio­ns.

L’élection du chef au suffrage universel, qui alimente un concours permanent de promesses, et fait de l’élu notre obligé, à qui nous ne manquerons pas de présenter la note. Comme le Dieu de La Révolte des Anges d’anatole France, étant supposé omnipotent, il est forcément comptable de tout ce qui va mal.

L’hygiène démocratiq­ue voudrait qu’on sorte de ce cycle illusionsd­éception où le sens civique et la confiance en l’avenir s’épuisent. Mais qui le souhaite vraiment ? Une Merkel à la française aurait-elle la moindre chance ? Pas plus que Mendès-france s’il revenait.

Les Français veulent du lyrique, du radical, des grands soirs, des aubes radieuses. On leur en donne.

Nous revient en mémoire cette confidence d’un ex-président, à quelques jours de son élection : « Evidemment, si je ne veux pas décevoir, c’est facile, il me suffit de ne rien promettre. Je risquerais d’autant moins de décevoir… que je serais battu à coup sûr »

« Le vainqueur [de la présidenti­elle aura]

la perspectiv­e d’être équarri sur l’autel de la démocratie d’opinion. »

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