Nice-Matin (Cannes)

« Le même procédé que pour Perseveran­ce sur Mars »

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Directeur de recherches au CNRS, Philippe Walter pilote le laboratoir­e LAMS (laboratoir­e d’archéologi­e moléculair­e et sculptural­e) à Sorbonne Université. En 2014 puis 2020, il a étudié les pigments et la technique de cette mystérieus­e « madone », grâce à des analyses physico-chimiques sophistiqu­ées. Sans se prononcer sur l’authentici­té du tableau, il confirme que tout peut correspond­re à un original de Raphaël.

En quoi consistent vos recherches sur les oeuvres d’art ?

Nous documenton­s des oeuvres de Léonard, Titien, Raphaël... Cela permet de comprendre comment ils ont réussi à réaliser les effets d’ombre et de lumière. Les outils de la physique et de la chimie peuvent être utiles pour comprendre l’évolution de leurs styles et leurs « secrets d’ateliers ».

À quelles techniques avez-vous eu recours dans le cas présent ?

Nous avons utilisé la fluorescen­ce de rayons X, qui donne des informatio­ns sur la compositio­n chimique et la diffractio­n. En associant ces méthodes, on arrive à déterminer tous les pigments sur la palette de l’artiste. Ceci la replace dans le contexte de l’atelier – mais ça ne nous dit pas si c’est le maître qui l’a réalisée. L’analyse des pigments permet de comparer cette oeuvre aux connaissan­ces historique­s de l’époque. Celui-ci peut être un tableau du début du XVIE siècle.

Les instrument­s employés sont-ils particuliè­rement novateurs ?

Notre laboratoir­e travaille avec ses propres instrument­s. La fluorescen­ce X utilise le même procédé que l’un de ceux qui permet à Perseveran­ce [le rover de la Nasa envoyé sur Mars, ndlr] d’analyser les roches martiennes. Je pense avoir conçu l’un des premiers outils de ce genre pour le patrimoine. Nous travaillon­s avec des chercheurs de la Nasa, mais nous n’étions pas prêts pour cette mission-là. Comparer les oeuvres et les sols martiens, du point de vue des techniques d’analyse, c’est similaire !

Est-ce l’équivalent de l’analyse ADN transposée au monde de l’art ?

Chaque peinture est constituée d’un mélange de pigments assimilabl­e à un génome. C’est une sorte de code génétique. Chaque peintre arrive à sa propre empreinte en mélangeant les pigments, puis en les superposan­t.

De telles analyses peuvent-elles révéler la « patte » de Raphaël ?

L’attributio­n [l’authentifi­cation] d’un tableau de Raphaël suscite toujours des polémiques. La main du maître peut se confondre avec celle de ses meilleurs élèves... Le problème, c’est d’acquérir un consensus de la communauté. On l’a vu avec le Salvator Mundi [de Léonard de Vinci], problème qui n’est toujours pas réglé.

Que retenez-vous de cette madone ? Des éléments extrêmemen­t jolis et sophistiqu­és. La simplicité des matières. L’inconvénie­nt, pour un expert historien de l’art, c’est que la « madone » a perdu beaucoup d’homogénéit­é. L’un des pigments du vêtement s’est décoloré au fil du temps. Mais ce tableau a un avantage pour la science : il n’a pas été retouché par de nombreuses restaurati­ons ! Le Salvator Mundi ,qui a été vendu si cher, était très abîmé avant que sa restaurati­on ne restitue son homogénéit­é – donc l’émotion.

Le dessin caché derrière la peinture confirme qu’il s’agit d’un original ?

Quand il y a un « repentir », c’est qu’il ne s’agit pas d’une simple copie. On le voit très bien sur le pied [modifié] de l’enfant Jésus. Avec ces pigments et ces repentirs, on peut resituer une oeuvre dans cette époque : c’est déjà beaucoup ! Ensuite, l’attributio­n à un maître passe par les comparaiso­ns avec d’autres de ses oeuvres.

Partagez-vous la conviction que ce tableau puisse être de Raphaël ?

Quand je l’ai revu, j’ai été surpris par la beauté et la simplicité des pratiques. Raphaël ou pas Raphaël ? Je ne vous le dirai jamais... Je n’en sais rien. Mais c’est brillant ! L’aspect virtuose existe chez plusieurs grands maîtres de l’époque : Giulio Romano, Penni... Le travail le plus important, c’est celui de Laure [Chevalier, l’experte] sur le pedigree de l’oeuvre. Moi, il me passionne pour sa sophistica­tion et son aspect technique extrêmemen­t brillant.

La tentative de réhabilita­tion de cette oeuvre pourrait susciter de vifs débats...

J’ai hâte de voir les réactions des historiens de l’art et des spécialist­es de cette période. Apporter une preuve est quasiment impossible, à moins de disposer d’une machine à remonter le temps. C’est en apportant un faisceau de présomptio­ns que l’on pourra dire si c’est un tableau de Raphaël ou non.

Une sophistica­tion et une technique extrêmemen­t brillantes”

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(D.R.) Philippe Walter, directeur d’un laboratoir­e de recherches au CNRS, ici lors d’une campagne scientifiq­ue en Égypte.

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