Nice-Matin (Cannes)

Affaire Dupont de Ligonnès : « le mystère fascine »

L’ancien procureur de Nantes, Xavier Ronsin, livre pour la première fois ses réflexions sur ce drame familial toujours non élucidé.

- En médaillon dans le titre, un montage photograph­ique de l’agence France Presse (AFP) de la famille Dupont de Ligonnès. De gauche à droite et de haut en bas, on reconnaît Xavier (50 ans),agnès (48 ans),arthur (20 ans), Thomas (18 ans), Anne (16 ans) et Be

Xavier Ronsin [ci-contre], procureur de la République de Nantes au moment du quintuple assassinat de la famille Dupont de Ligonnès début avril 2011 [lire ci-dessous], explique comment il a vécu cette affaire exceptionn­elle et décrypte ce qu’elle a de marquant et de fascinant.

Avez-vous le souvenir du moment où vous avez l’intuition que l’on bascule dans une affaire hors du commun ?

L’événement clé dans mes souvenirs s’est produit dans les quelques minutes qui ont précédé une conférence de presse que je devais tenir au tribunal de Nantes pour lancer un appel à témoignage­s à propos de ce qui n’était, jusque-là, qu’une disparitio­n plus mystérieus­e d’ailleurs qu’inquiétant­e. Un commissair­e de police qui se trouvait dans mon bureau a reçu un appel téléphoniq­ue lui annonçant la découverte dans le jardin de la famille d’un premier corps. Cette annonce changeait totalement la perspectiv­e et le contenu de la conférence de presse et évidemment j’ai pris immédiatem­ent toute la mesure de cette évolution soudaine de l’enquête.

Pour vous quel a été le temps le plus fort de l’affaire en  ?

Outre le basculemen­t de l’enquête que je viens d’évoquer, les temps les plus forts dans mon souvenir ont trait à mon propre déplacemen­t avec les enquêteurs dans la maison des Dupont de Ligonnès qui, par hasard, était très proche de mon propre domicile, puis évidemment les autopsies des corps de ces enfants et de leur mère et enfin la gestion quotidienn­e, heure par heure, du déferlemen­t médiatique à chaque révélation ou fuite sur le déroulemen­t de l’enquête ou de pseudo reconnaiss­ances du suspect dans les lieux les plus improbable­s.

En quoi cette affaire est-elle exceptionn­elle ?

Chaque affaire, surtout si elle de nature criminelle, est exceptionn­elle ou singulière et je me méfie toujours des superlatif­s médiatique­s, car le devoir des enquêteurs et des magistrats est de traiter toutes les affaires judiciaire­s, y compris les plus banales, avec le même sérieux [...] Mais j’en conviens, un quintuple assassinat d’une famille aussi classique et insérée, la traque pendant dix ans d’un suspect, l’immense intérêt médiatique que ces morts et cette enquête ont suscité, les milliers de témoignage­s, sérieux ou farfelus recueillis, le mystère du devenir de cet homme, tout ceci à bien un caractère exceptionn­el.

Qu’est-ce qui explique la fascinatio­n qu’elle suscite depuis une décennie ?

Dès lors qu’une affaire criminelle n’est pas totalement résolue sur le plan judiciaire, soit par l’arrestatio­n de l’auteur soit par la découverte de son corps, le mystère fascine [...] Lorsque le meurtrier est extérieur à la famille, paradoxale­ment je pense que l’horreur du ressenti est moindre que si “le mal” est provoqué de l’intérieur du cocon familial, considéré par tous comme étant le plus protecteur du monde dans toutes les sociétés, notamment à l’égard des enfants. S’y ajoute parmi les hypothèses les plus sérieuses pour expliquer ces assassinat­s, leur caractère planifié, prémédité, y compris par des pièges tendus à des enfants, des traquenard­s, l’extraordin­aire accumulati­on de mensonges avant et après... une telle densité de volonté criminelle forcément est marquante et fascinante.

La pression médiatique était importante.

A-t-elle compliqué l’enquête ?

Je vous confirme que cette pression médiatique a été intense mais qu’elle n’a pas paralysé les investigat­ions. Tous les médias, de télévision, de radio, de presse écrite ou d’internet relayaient au début parfois en boucle, informatio­ns vérifiées et rumeurs les plus folles, dans une concurrenc­e exacerbée. J’ai fait le choix délibéré à l’époque de communique­r par mails tous les jours à l’ensemble des journalist­es qui le souhaitaie­nt l’intégralit­é des réponses aux différente­s questions qui m’étaient adressées au lieu de privilégie­r un tel ou un tel ou de confirmer secrètemen­t “de source autorisée” tel ou tel fait auprès d’un interlocut­eur privilégié. J’ai constaté que cette pratique avait apaisé la concurrenc­e et la course à la “fuite” ou au témoin miracle puisque je partageais tout avec tout le monde avec l’accord préalable du juge d’instructio­n.

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(Photo AFP)
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