Nice-Matin (Cannes)

La propriétai­re : « Qu’il aille dans un musée pour qu’on l’admire »

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« Je l’ai toujours pressenti ! » Pauline (1), 72 ans, s’est forgée une intime conviction voilà bien longtemps. La voici confortée. Enfin, sa Madone aux oeillets a fait l’objet d’une expertise fouillée, croisant investigat­ions scientifiq­ues et historique­s. Plus que jamais, cette Azuréenne est convaincue de posséder une oeuvre originale du maître Raphaël.

« Ce tableau, vous avez toujours envie de le regarder, témoigne-t-elle. Il est tellement beau – et je ne dis pas cela parce que c’est mon tableau ! » À vrai dire, pour Pauline, cette oeuvre est bien plus qu’un tableau. C’est devenu le combat d’une vie.

Cette retraitée est née à Cannes. Elle a partagé son existence entre Alpesmarit­imes et Var. Son père était hautsavoya­rd, sa mère italienne.

Son arrière-grand-père, le Dr Joseph Antoine Chatron, fut un pionnier de l’homéopathi­e. Il est le fils spirituel de son inventeur, Samuel Hahnemann. « Cela lui a ouvert les portes de la grande société de Paris », explique sa descendant­e. L’oeuvre est entrée dans la famille grâce à lui.

Frénésie médiatique

Cette mystérieus­e madone, Pauline a « grandi avec ». Sans lui accorder trop d’importance. « Elle a toujours été suspendue dans notre chambre, audessus de la tête de lit. » Jusqu’à ce jour de 1957 où l’on frappe à la porte du domicile familial, à Cannes.

« Il y avait plein d’hommes avec des appareils photos ! » La presse s’invite. Les flashes crépitent. S’ensuit une déferlante médiatique. Le 11 février 1957, la Vierge à l’oeillet dévoile son sourire délicat dans Nice-matin, sous le titre : « Elle pourrait être une oeuvre authentiqu­e de Raphaël ».

Ce n’est pas la première fois que ce tableau a les honneurs de la presse.

En 1936 déjà, L’éclaireur de Nice évoque la possible découverte d’un chefd’oeuvre à Nice. Le rédacteur en chef et critique d’art Pierre Borel souligne : « Des connaisseu­rs ont examiné longuement cette “Vierge à l’oeillet”. Tous ont été unanimes à la déclarer d’une grande beauté et digne d’avoir été peinte par Raphaël lui-même. »

« L’argent ne me fait pas tourner la tête »

En 1957, Pauline n’a que neuf ans. Mais elle n’a rien oublié de cet épisode. Ni la frénésie suscitée – «Çaa fait le tour du monde ! » Ni l’arrivée des spéculateu­rs, tous éconduits. Le passager d’un paquebot « fait escale à Cannes » et propose un chèque à sa mère ? Refus. Un Allemand « arrive avec plein de billets emballés dans du papier » ? Refus. Et ainsi de suite. À son tour, Pauline se montre inflexible. Assistée de Me Olivier Descosse, son avocat, elle l’assure : « L’argent ne me fait pas tourner la tête ! J’ai toujours su que mon oeuvre était vraie. Je ne veux pas qu’on me dise : “Tenez, voilà les sous”. Je veux qu’elle soit reconnue ! Je serais ravie qu’elle soit dans un musée. Pour que tout le monde voie qu’elle est belle. »

Belle, c’est incontesta­ble. Mais authentiqu­e ? Voilà ce que l’historienn­e de l’art Laure Chevalier a cherché à vérifier. Elle a mené l’enquête pour retracer l’historique du tableau, exploré les zones d’ombre du récit familial sur son origine.

Ce récit, Pauline le tient de sa mère. Et de ce qu’elle sait de son glorieux aïeul. Habitué à fréquenter la haute société, d’alexandre Dumas au duc de Montmorenc­y, le Dr Chatron fut médecin du roi de Sardaigne. Mais, « étant très pieux, il voyait d’abord le pauvre et le riche ensuite ».

Voilà pourquoi, « avec ses petites gélules, il a soigné un malade nécessiteu­x. Et il l’a guéri. Sachant qu’il était passionné de peinture, ce malade lui a offert ce tableau en remercieme­nt. »

Qui était ce patient ? Comment serait-il entré en possession d’un tel trésor ? Mystère...

« Ces deux informatio­ns sont invérifiab­les », admet Laure Chevalier. Seule certitude, au vu de la succession Chatron : le tableau entre bien dans sa famille au XIXE siècle. Le patient indigent, lui, relèverait « de la légende » familiale. L’experte pense que «le Dr Chatron a voulu préserver l’identité de son donateur ». Elle a donc creusé d’autres pistes. Plus plausibles.

Rescapé d’un incendie

L’historienn­e évoque les liens du Dr Chatron avec la famille Bonaparte. « Le médecin de Chambéry » et son épouse fréquentai­ent la princesse Charlotte Bonaparte Gabrielli, nièce de Napoléon. Des lettres d’époque en attestent : « Ils étaient très amis ». L’éminent médecin a légué à ses héritiers une peinture somptueuse auréolée de mystère. « On m’a toujours dit qu’elle était de Raphaël et finie par ses élèves : Romano, Penni, Sabbatini... » Pauline a bien tenté de la faire réhabilite­r. « J’ai écrit au monde entier ! Personne ne m’a crue. C’était trop improbable comme histoire... » L’expertise corrobore pourtant son récit en bien des points.

Voilà une vingtaine d’années, un incendie a ravagé son domicile. Pauline a eu le réflexe de sauver ses archives et son tableau. Parce qu’il est « inestimabl­e ». Son souhait ? « Qu’il soit authentifi­é, qu’il aille dans un musée et qu’on l’admire. Il a vécu, ce pauvre tableau ! Il a besoin de repos. »

 ?? (Photo François Vignola) ?? Me Olivier Descosse, avocat de la propriétai­re du tableau, avec sa cliente ici à Nice. Elle tient à conserver l’anonymat.
(Photo François Vignola) Me Olivier Descosse, avocat de la propriétai­re du tableau, avec sa cliente ici à Nice. Elle tient à conserver l’anonymat.

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