Nice-Matin (Cannes)

Madame Claude

- PHILIPPE CAMPS Journalist­e edito@nicematin.fr de

À une époque, prononcer son nom était déjà un péché. ‘‘Madame Claude’’ brûlait les lèvres. De ce pseudo célèbre s’échappait une odeur de soufre. Aujourd’hui, le sujet redevient explosif. Il n’est pas à mettre entre toutes les mains. Les démineurs, vite ! Netflix sort le biopic. Pas vu. Il paraît que le film flingue le fantasme de la plus grande maquerelle de la République. Ça promet. L’heure est aux règlements de compte. Là on ne tire plus sur une ambulance, mais sur un corbillard. Madame Claude est morte à Nice en . Elle avait  ans. Sa vie est un brûlot. Elle en a fait un livre qui s’appelle Allô, oui.

Un titre bien trouvé : elle était pendue au téléphone rose. Elle est la standardis­te la plus riche de l’histoire des PTT. Le bouquin a raté le Goncourt. Il est truffé de contre-vérités. Pour des mémoires, ça la fout mal. Madame Claude est née Fernande Grudet. C’est moins glamour. Madame Fernande, on la voit plus en train servir des petits blancs secs derrière un zinc qu’à la tête d’un réseau de call-girls.

« Il y a deux choses qui marchent : la bouffe et le sexe », disait Madame. Problème : elle ne savait pas cuisiner. Le sexe est devenu son métier. Elle a eu jusqu’à  filles sous la main. Des beautés fatales qu’elle tenait en laisse.

Les candidates se bousculaie­nt au portillon. Elles portaient leur CV sous le manteau. La sélection était sévère. Fallait posséder des atouts à la verticale comme à l’horizontal­e. Pour le lit, Madame faisait appel à des testeurs. On a connu des profession­s plus éprouvante­s. Après, les filles étaient lâchées dans le grand monde. Rares étaient les tourneurs-fraiseurs qui faisaient appel à leurs services. John Fitzgerald Kennedy, le Shah d’iran, Aristote Onassis ou Gianni Agnelli étaient des clients fidèles. Politiques, ambassadeu­rs, chefs d’état africains, princes arabes, grands patrons, financiers, avaient, tous, le numéro de Madame. Comme quoi, on peut dédaigner les fourneaux et ne jamais rater le gratin. Dans ses carnets noirs, pas de recette de la blanquette, mais des tas de secrets. Madame  % (pourcentag­e non négociable) aurait pu faire sauter la République, une partie de la planète et pas mal de ménages. Elle se croyait intouchabl­e. Elle est tombée. Le croche-patte n’est pas venu de la Mondaine, mais de la Financière. Fisc de pute. L’argent mène à tout. Même au trou. Lâchée par des protecteur­s soudain injoignabl­es, elle s’est exilée aux Etats-unis.

Mal du pays et retour à la case prison. La France ne l’avait pas oubliée non plus... Celle qui se voyait en décoratric­e du vice n’a pas échappé à sa condition de proxénète. La légende en a pris un coup. Le mythe interdit aux mineurs s’est retrouvé dans une cellule de Fleury-mérogis. Ça fait moins rêver. A  ans, plus désarmée que repentie, elle posait en tenue légère pour quelques sous. L’image avait encore des reflets mystérieux. Dix-neuf hivers plus tard, cette femme élégante, pète-sec, autoritair­e, cassante s’est éteinte dans un hôpital niçois. L’histoire n’a pas de morale. Mais Fernande Grudet, alias Madame Claude, a une histoire. Une question se pose : dans les années , des parents ont-ils prénommé leur fille Claude ? Pas sûr.

« Madame 30 % aurait pu faire sauter la République et pas mal de ménages. »

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