Nice-Matin (Cannes)

« Certains vont voir un psy, moi, je discute avec mes crayons » Tous mes dessins sont passés”

Plantu range ses crayons après cinquante ans passés au Monde. L’occasion pour le plus célèbre dessinateu­r de presse de revenir sur un demi-siècle de joie et de combats.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD/ALP

Avec simplicité, Plantu, soixante-dix ans, raconte sa fidélité au journal Le Monde, où il a dessiné pendant cinquante ans et ses conviction­s, qui l’ont amené à se battre pour publier ce à quoi il croyait. Il vit toujours sous la protection permanente de deux policiers…

Comment et pour qui allez vous dessiner maintenant ?

D’abord, je vais continuer à dessiner parce que je ne sais pas faire autre chose ; et puis c’est ma langue naturelle. Quand une idée me vient, un sentiment l’accompagne, au bout de mes doigts, le crayon s’agite, et sur la feuille blanche, le dessin se fait tout seul. Il m’arrive d’être en colère, d’avoir la rage, et je me suis rendu souvent compte que quand je couche sur le papier ce que je ressens, même si c’est excessif, ça soulage l’agressivit­é que je pouvais ressortir au début. Certains vont voir un psy, moi je parle avec mes crayons.

Qu’est-ce qui a le plus changé entre de vos débuts et celui d’aujourd’hui ?

Le Monde

Concernant la création même du dessin, rien n’a changé. Ma vie de créateur de dessins est toujours la même, sauf que je suis accompagné en permanence par deux policiers… Je suis resté jusqu’au bout le dessinateu­r qui proposait ses dessins, jusqu’à une dizaine chaque matin à la rédaction en chef. Parfois, j’envoyais cinq ou six brouillons, et on me disait gentiment, on attend le septième… Mais quand je croyais à un dessin, il m’est arrivé de le proposer cinquante fois jusqu’à temps qu’il passe. Il m’est aussi arrivé de faire des dessins contraires à la ligne éditoriale du journal. Quelle saveur ! Moi qui n’aimais pas trop Sarkozy, j’ai par exemple été d’accord avec lui quand il a fait voter la loi contre la burka. Je l’ai dessiné en disant des choses qui n’étaient pas dans la doxa attendue du journal. L’arrivée d’internet fait que, très souvent, les citoyens pensent qu’ils peuvent se passer de la lecture d’un journal pour être au courant de ce qui se passe. En fait, toutes les pistes proposées par Internet sont multiples, mais les algorithme­s ramènent à des fixations personnell­es, et les gens peuvent passer à côté d’informatio­ns essentiell­es.

Jamais de censure ?

Dans toutes les familles, il y a des clashs, et le journal, c’est ma famille. En cinquante ans de carrière, au Monde, personne ne m’a jamais dit : tu vas faire ça ailleurs, alors qu’on me l’avait dit à Charlie, durant les quelques mois où j’y ai travaillé. Cela a été parfois compliqué avec la hiérarchie. Quand Edwy Plenel était le rédacteur en chef, j’avais deux cardiologu­es… Et c’est vrai !

C’était violent, il fallait toujours argumenter et se défendre. C’était aussi l’époque de Colombani, directeur du journal, qui en tant que Corse, détestait mes dessins sur les terroriste­s de l’île. Il faut dire que j’y allais au karcher et qu’au moment de l’assassinat du préfet Erignac, je n’ai pas fait dans la dentelle. Mais tous mes dessins sont passés. Avec engueulade, mais ils sont passés !

Votre meilleur souvenir de dessin ?

Grâce à l’image du journal, j’ai pu être remarqué et être invité un peu partout sur la planète. Je me souviens d’une exposition de mes dessins en Égypte ; c’était à la Grande Bibliothèq­ue d’alexandrie, en . Un dessin qui mélange les deux drapeaux des états palestinie­n et israélien s’est retrouvé exposé en Égypte et cela n’a posé aucun problème. Arafat, qui connaissai­t mes dessins, avait demandé à me rencontrer, ce à quoi je n’étais pas préparé. Il était furieux après moi car il trouvait que je ne soutenais pas assez les Palestinie­ns. Je lui ai répondu que je faisais ce que je voulais mais je lui ai montré que j’avais soutenu la cause palestinie­nne, sauf quand il y avait des attentats contre des innocents. Et tout cela a fini par ce dessin signé par Arafat et Peres, pour la paix.

Votre plus mauvais souvenir ?

Après les fatwas contre les dessinateu­rs danois. J’ai compris qu’il faudrait dorénavant utiliser des subterfuge­s pour pouvoir passer des idées auxquelles nous tenions. Ça demande une énergie féroce et malicieuse. L’occasion de dire que sans le travail des rédacteurs et des envoyés spéciaux, le dessinateu­r de presse n’est pas grand-chose. Vous vivez toujours sous protection policière ?

Oui, c’est comme ça tous les jours depuis six ans. J’en suis à mon

e policier ! Quand ils estimeront que ce n’est plus nécessaire, j’ai promis d’aller au ministère de l’intérieur avec des caisses de champagne pour les remercier. Dès , il y a eu plusieurs alertes : je faisais une exposition à Drancy, des policiers sont venus me chercher pour me protéger car ils savaient que des barbus très mécontents de ce dessin m’attendaien­t. Je suis allé les voir, je les ai écoutés et ils se sont calmés. Dès que j’en ai l’occasion, j’explique à tous les musulmans que les dessinateu­rs danois (qui ont publié les premières caricature­s) ne se sont jamais levés un matin avec l’envie d’humilier ,  milliard de musulmans ! Or, c’est comme cela que ça a été compris. Je défends dans toutes mes interventi­ons la liberté de pensée européenne en expliquant que nous ne sommes pas arrogants et qu’ils ont été manipulés par des Imams.

Quel est le personnage public qui vous inspire de la tendresse ?

Simone Veil. J’ai fait un dessin au moment où elle venait de nous quitter et je pensais que sa place était au Panthéon.

L’homme politique qui vous a le plus embêté ?

C’est Richelieu, car il est finalement l’inventeur des réseaux sociaux. L’injustice de ces procureurs qu’on a sur le web me rappelle justement la phrase de Richelieu, qui a dit : « Donnez-moi des lignes écrites du plus honnête homme et je me débrouille­rai pour le faire pendre ». Les réseaux sociaux se retournent contre la démocratie. On finit par croire qu’une poignée de gens qui pétaradent sont la majorité. Quand je me fais traiter de terroriste ou de sale sioniste par #Pinocchio ou #Bécassine, je suis désolé, car je veux savoir qui m’insulte pour répondre.

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