« Napoléon est le fondateur de la Nation »
Alors que l’on commémorera le 5 mai le bicentenaire de la mort de Napoléon, Charles Bonaparte, le descendant de Jérôme, livre une réflexion sur les libertés engendrées par l’empereur des Français.
Il y a 24 ans, nous avions « couvert » à Ajaccio les obsèques de son père, le Prince Napoléon. Logiquement, il devait être le nouveau Prince, mais sa mère, n’acceptant pas son divorce, a préféré transmettre le titre à son petit-fils, Jean-christophe.
Républicain, Charles Napoléon ira jusqu’au bout de sa logique en changeant son nom pour Charles Bonaparte. Sans évidemment renier pour autant sa grande famille. Dont il nous fait découvrir, dans son dernier livre La Liberté Bonaparte (1), des aspects peu connus. « Ce n’est pas un livre de mémoire, explique-t-il, mais quelques étapes d’un parcours ; autrement dit : comment je suis parti, même avec cet héritage, à l’état brut, et comment j’ai dû réagir pour me mettre en valeur d’une manière différente de celle que l’on avait vécue dans ma famille. J’ai également voulu montrer, ajoute-t-il, les contenus modernes, très progressistes de l’héritage de Bonaparte ». Pari réussi. Et passionnant.
Mis à part le rétablissement de l’esclavage, vous n’êtes pas trop critique sur Napoléon. En revanche, vous exécrez toujours ce cérémonial monarchique ?
Je suis quelqu’un de simple et j’aime le contact avec les gens ; donc tout ce qui ressemble à un cérémonial hors du temps ne m’est pas sympathique, ne m’est pas familier car ce n’est pas comme cela que je me comporte et que j’aime avoir des rapports avec les gens. Ces cérémonials portent une vision passéiste de Napoléon, du personnage et de son action. Par exemple : il y a ans, j’avais écrit un livre sur Bonaparte et Paoli, car Napoléon a été très proche de la révolution corse, et cet aspect des choses est totalement ignoré et même nié alors qu’on est loin d’un Napoléon centralisateur, jacobin.
Votre mère vous a retiré le titre de Prince Napoléon au profit de votre fils Jean-christophe, qui est très discret…
Ce titre n’est pas évident à mettre en oeuvre dans le monde moderne, ça fait un peu poussiéreux. C’est compliqué. J’ai interrogé le tribunal administratif pour savoir ce que signifiait réellement ce titre pour la République. La réponse est très claire : c’est un titre que l’état français ne peut pas reconnaître, car il désigne le chef d’une tradition politique qui n’est pas compatible avec la République. J’ai donc abandonné bien volontiers ce titre, et j’ai repris le nom de Bonaparte ().
Vous écrivez pourtant que Napoléon est le fondateur de la Nation…
Pour moi, la Nation, c’est le regard que des citoyens libres – j’insiste sur le mot « libres » – portent sur leur communauté.
Avant la Révolution, les citoyens étaient des sujets du roi, et après, ils sont devenus et restés des citoyens libres et égaux entre eux. Toute l’oeuvre de Napoléon est quand même marquée par cela : c’est ce grand principe d’égalité qui marque le Consulat. On peut citer le code civil, le cadastre, les grandes institutions privées, le Concordat qui est un début de liberté religieuse et de laïcité, etc.
Question de coller à notre époque, vous avez créé la Fédération européenne des cités napoléoniennes (). De quoi s’agit-il ?
C’est une action que j’ai lancée quand j’ai été élu à Ajaccio.
Le but était de rassembler toutes les villes –onen a soixante aujourd’hui – qui ont été traversées par l’histoire napoléonienne et en faire un itinéraire culturel du Conseil de l’europe ; ce Conseil qui considère Napoléon comme un Européen, comme un homme qui a contribué à construire l’europe. Pour moi, c’est très important : ça vaut tous les titres nobiliaires de la terre. En France, on le considère plus comme un guerrier… Indiscutablement, il a été un grand chef militaire, mais on ne sait pas toujours ce qu’il a apporté à l’europe contemporaine. Les nations se construisent par leur histoire, et reconnaître Napoléon comme un élément constitutif de la nation européenne, c’est pour moi très important.
Vous évoquez beaucoup Lucien et Marie Bonaparte. Pourquoi ?
Après Napoléon, Lucien est sans doute le plus politique, celui qui a eu la vision la plus cohérente de la politique qu’il fallait mener ; ce n’était pas toujours celle de son frère. Marie est une descente de Lucien, c’est une des fondatrices de la psychanalyse et de l’école psychanalytique de Paris. J’ai moi-même suivi une analyse parce qu’à un moment je souffrais et Marie Bonaparte, que j’ai rencontrée, m’a semblé proche de moi.
“l’histoire,
Avant de critiquer il faut l’apprendre et la comprendre ”
Une partie du livre parle de mes choix de citoyen engagé ”
En évoquant Edgar Morin, vous attaquez un peu les politiques et certaines institutions…
Une partie du livre parle de mes choix de citoyen engagé. Je suis critique à l’égard des Nations Unies car j’ai été éprouvé dans mes activités professionnelles (), mais je parle aussi de la prise de conscience d’une citoyenneté mondiale.
Que pensez-vous des contempteurs de Napoléon ?
Avant de critiquer l’histoire, ce qui est le droit de tout le monde, il faut l’apprendre et la comprendre. Comprendre les liens qui existent des causes aux effets, qui conduisent à prendre des décisions politiques. On peut aimer ou pas Napoléon, ce n’est pas un problème, mais ce qui est l’est, c’est que l’histoire soit jugée avant d’être comprise avec des concepts contemporains. Par exemple : dire de Napoléon que c’est un boucher ou un esclavagiste, ça n’a de sens que par rapport à des concepts contemporains qui n’existaient pas à l’époque. C’est même une négation de l’histoire car elle est toujours dans un concept donné. Donc quand on la décontextualise, elle devient incompréhensible et perd tout intérêt.