Nice-Matin (Cannes)

  morts

- Maire d’antibes

JEAN LEONETTI

La Covid- a, en un peu plus d’une année, tué   personnes en France. Tant que le chiffre n’avait pas franchi cette barre symbolique, l’hécatombe pouvait continuer dans une sorte d’indifféren­ce. C’est pourtant   fois une personne humaine qui disparaît et la perte d’un être cher pour l’entourage.

Nous nous étions habitués à ces centaines de morts quotidienn­es qui restaient néanmoins très inférieure­s aux autres causes de mortalité dans notre pays. Le gain en survie des mesures de confinemen­t, dans le domaine de la sécurité routière par exemple, venait nous rassurer et la mortalité française n’avait pas augmenté de manière très significat­ive.

Mais qui mourait ? Difficile de distinguer ceux morts « de » la Covid, de ceux morts « avec » la Covid et dont le décès était de toute façon inéluctabl­e à court terme. De plus, les plus âgés étant les plus vulnérable­s, certains avançaient que ne mouraient en fait que ceux qui « allaient mourir » et qu’on ne devait donc pas paralyser le pays sur le plan économique pour ces « morts anticipées ».

La mort, après avoir été comptabili­sée d’une voix monocorde tous les soirs dans les journaux télévisés, a progressiv­ement disparu des médias. Incidence, taux de positivité, saturation des réanimatio­ns et nombre de vaccinés sont, petit à petit, devenus les seuls paramètres pris en compte dans les stratégies développée­s par les décideurs. On en aurait finalement presque oublié cette évidence que lutter contre une maladie potentiell­ement mortelle, c’est avoir comme premier objectif d’éviter la mort.

Heureuseme­nt, des voix se sont élevées pour dénoncer ces morts solitaires quand la distanciat­ion familiale venait rendre ces fins de vie inhumaines ; mais la raison sanitaire l’emportait souvent sur l’exigence de l’accompagne­ment affectif de ceux auxquels on ne pouvait plus dire au revoir. Fait significat­if pendant toute la première période de la pandémie, les morts en Ehpad n’ont pas été comptabili­sés. Cachons ces morts, ouvrons donc le champ à l’espérance et à la vie semblait devenir le mot d’ordre d’une société toujours prompte à détourner le regard de ce qui la gêne. Mais les chiffres sont têtus et nous interpelle­nt. Comment

alors réagir ? Certains envisagent un hommage, une manifestat­ion, voire un mémorial pour ces victimes modernes de maladies anciennes, peut-être pour échapper à l’accusation d’indifféren­ce, sans doute aussi pour tenter d’affirmer que la guerre est finie et que nous pouvons enterrer à la fois nos morts et cet épisode douloureux dans un geste libérateur. Curieuse façon qu’a notre siècle de confondre les victimes et les héros et d’être plus attaché à la commémorat­ion qu’à l’action.

La Covid- a mis en lumière les faiblesses de nos sociétés modernes. La mort, ce tabou français, tape bruyamment à la porte d’une société de la performanc­e prise en défaut dans son orgueil et son arrogance pour nous rappeler notre vulnérabil­ité. Saurons-nous, la prochaine fois, la regarder en face ?

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