Nice-Matin (Cannes)

Ramadan Box : elle a plus d’un « ftour » dans son sac

Chorba, boureks, couscous… Alors que ce mois sacré pour les musulmans est perturbé par la Covid, Malika Kadri a imaginé une boîte pour jeûneurs confinés et loin de leur famille.

- LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

Aux premières heures, cette semaine, du premier jour du Ramadan, chez Ryna, à Cannes-la-bocca. Un petit snack tout en longueur, presque un couloir, un brouhaha dominé par la voix de Malika Kadri : « Allez, on met en place la chorba (soupe traditionn­elle algérienne) ! La graine, elle est faite ? » Son téléphone sonne : c’est Lamia, une boulangère de Juan-les-pins qui peut lui faire du pain : « OK, OK, ma chérie mais il faut qu’il soit bon ». Sitôt raccroché : « Il faut filmer les gâteaux, vite, vite ! Qui a la clef USB pour imprimer le menu ? » Tout le monde court, la fille, la cousine, le commis, bruits de frigo, tupperware­s et boulettes à la chaîne…

« Un mois de partage et de générosité »

Re-sonnerie : « Oui, trois box pour ce soir, c’est possible ! ». Et, c’est reparti. Malika veille au grain, houspille, ponctue ses ordres de « Yalla, yalla (vite en arabe) » sonores, s’agace et tonitrue : «Et la chakhchouk­ha (salade de poivrons cuits) ,elleestoù?» Sanglée dans son grand tablier au cordeau, Nawel s’exécute et souffle affectueus­ement : « Parfois, je lui dis : maman quand estce que tu prends un abonnement Netflix et que tu te mets au crochet?».

«Çavapas?» , râle, du fin fond de la cuisine, Malika, à qui décidément rien n’échappe, ni une Zlabia (pâtisserie) mal rangée, ni un mot de travers.

À 65 ans, après une carrière (notamment) de prof de françaisla­ngues étrangères à la fac de Nice et une vie entre l’algérie, Paris et la Côte d’azur, faite de brisures et de résilience­s, elle n’a aucune envie « de s’endormir. La retraite, ça va pas non ? Yalla ! »

Pour ce Ramadan confiné, elle a imaginé la « Ramadan Box » (« Une chorba, des dattes, des boureks à la feuille de brick, et un plat ») à emporter ou livrée dans tout le départemen­t. « Le mois sacré est un mois de partage, de générosité. C’est chacun qui amène les gâteaux chez l’autre et on échange. Aujourd’hui, c’est compliqué et en même temps, il n’est pas question d’enfreindre les règles. À cause des restrictio­ns sanitaires, beaucoup ne pourront pas voir leur famille comme cela se fait traditionn­ellement. L’idée, c’est de leur permettre de rompre le jeûne (faire le « ftour) le mieux possible ».

Sa formule (à partir de 11,90 euros) s’adresse tout à la fois aux célibatair­es, aux isolés, aux femmes débordées, aux musulmans pressés ou confinés, à la foi qui s’accroche à un monde qui déraille.

Spirituali­té sans voile et partage

L’histoire de cette boîte, comme celle du snack qui a ouvert il y a tout juste un mois, est une histoire de femmes. En premier, il y a Malika, l’enseignant­e maîtressef­emme, la matriarche. Et puis, sa fille Nawel, 28 ans, la Djette (DJ Ryna de son nom de scène) qui a été obligée d’abandonner les platines à cause de la Covid, glas des mariages et des fêtes. S’ajoutent Souad, la cousine qui cuisine, et Meriem, la première fille de Malika qui bosse dans la com’ et gère les réseaux sociaux.

Ici, la spirituali­té est sans voile, le don sans publicité (lire ci-contre), la croyance sans ostentatio­n. La religion n’est pas une affaire d’hommes, martèle Malika. Elle cite Kahina Bahloul, la première femme imam de France : « J’ai partagé sa victoire sur mon mur Facebook et j’espère qu’il y aura d’autres femmes comme elle, même si certains l’acceptent difficilem­ent ». Elle dit, dans un flot de paroles haut, fort et ininterrom­pu (sauf par une feuille de coriandre mal coupée ou une brochette pas parfaite), son admiration pour celles qui se battent, pour les premières, pour Zahia Ziouani, « qui a été cheffe d’orchestre à Cannes ».

« On peut être algérienne, musulmane et féministe. Les clichés, c’est fini ! » exulte Malika. Elle se lance Elle écourte, prosaïquem­ent : « Chacun doit surtout donner le meilleur de soi-même » .Et elle file au marché « acheter des légumes frais » et chez le boucher halal du coin « pour faire une bonne box, seul Dieu et l’autre comptent, tu sais, yalla ».

 ?? (Photo Patrice Lapoirie) ?? Malika et sa fille. Une prof, une Djette, une histoire de femmes qui pensent aux confinés du Ramadan.
(Photo Patrice Lapoirie) Malika et sa fille. Une prof, une Djette, une histoire de femmes qui pensent aux confinés du Ramadan.

Newspapers in French

Newspapers from France