Nice-Matin (Cannes)

Arthur Guérin-boëri, ce Niçois qui aimait le froid

Il est le premier homme à avoir parcouru 120 mètres en apnée sous un lac gelé en Finlande, vêtu seulement d’une combinaiso­n de deux millimètre­s d’épaisseur. Rencontre avec un « extraterre­stre »...

- ÉLODIE ANTOINE eantoine@nicematin.fr

Les yeux d’un bleu profond, une carrure à la Goliath, une sérénité partagée... Du haut de son 1,96 mètre et de ses 36 ans, Arthur Guerin-boëri est une véritable force de la nature. Un personnage « un peu décalé, un peu marginal ». Ses performanc­es intriguent la science, autant qu’elles impression­nent le grand public. Un champion « made in Nice » .Sa discipline ? L’apnée. Mais pas n’importe laquelle.

Après avoir raflé en dix ans cinq titres mondiaux et établi autant de records du monde de distance à l’horizontal­e, dont le dernier en date a été réalisé fin mars sous une épaisse couche de glace en Finlande, le Niçois ne compte pas s’arrêter là. Repousser ses limites encore et encore. Même si la profondeur et l’exploratio­n restent ses coups de coeur.

Tout d’abord, pourquoi l’apnée ?

On venait à Nice ou on allait en Corse avec mes parents pour les vacances. Je mettais la tête sous l’eau sans arrêt. J’ai toujours été à l’aise dans cet élément. Un peu plus tard, à l’adolescenc­e, j’ai vu

Le Grand Bleu, de Luc Besson, qui m’a beaucoup marqué. Je me retrouvais vraiment dans ce personnage qui est incarné par Jean-marc Barr. Un peu décalé, un peu marginal... C’est resté dans ma tête durant toute l’adolescenc­e et à l’âge adulte, je me suis remis au sport que j’avais mis un peu de côté durant mes études d’ingénieur du son à Paris. Et j’ai cherché un club de natation parce que j’adore nager et je me suis dit “j’adore l’apnée aussi, estce qu’il existe des clubs ?” Je me suis inscrit là où il restait une place, parce que tout était saturé. J’ai fait ce qu’on appelle un “baptême” dans un club à Montreuil et tout s’est enchaîné très vite. C’était en , j’avais  ans.

Qu’est-ce qui vous plaît dans cette discipline ?

Je pratique vraiment toutes les formes d’apnée, j’adore aller en profondeur, comme en piscine, comme en lac ou en rivière même. J’adore aller regarder les poissons, explorer, c’est même ce que je préfère. Le plaisir le plus simple pour moi, c’est de mettre un masque, une paire de palmes et de descendre.

Pourquoi après les bassins, avoir choisi de performer dans le froid, la glace... ?

C’est quelque chose que j’ai découvert plus tard. J’ai voulu un peu m’extraire des bassins et tenter autre chose. En , j’ai atteint en quelque sorte l’apogée de ma carrière on va dire. J’ai fait ce record à  mètres en bassin qui était un petit peu la distance que tout le monde attendait depuis longtemps. Pour moi, j’avais vraiment atteint un objectif de carrière qui était énorme. Et donc derrière, je me suis dit :

« tiens, je vais essayer de me renouveler un petit peu dans autre chose. Pourquoi pas tenter des records d’apnée en lacs gelés ». C’est une niche dans l’apnée, il n’y a qu’une poignée de mecs qui font ça dans le monde. Je ne suis pas très très frileux… Il y a une certaine forme d’engagement qui me plaît aussi là-dedans, parce qu’on part sous cinquante centimètre­s de glace… Il y a aussi l’aspect froid qui m’intéresse, il y a un truc un peu extrême. J’avais vu que les records n’étaient pas très très élevés en plus. Il y avait un record à  mètres à l’époque, ce qui représente la moitié de mon  mètres. Je me suis dit que ça allait être facile. Et puis après j’ai compris que pas du tout, l’eau froide impacte le confort en apnée.

Parlez-nous de vos records en apnée horizontal­e sous la glace.

En mars , j’ai fait mon premier record sous glace avec ma monopalme. J’ai nagé

 mètres sous la glace d’un lac gelé en Finlande. Le lac de Sonnanen. Qui est le même lac où je suis retourné là d’ailleurs tout récemment et où j’ai fait ce record d’apnée sous glace à l’horizontal­e, à la brasse. J’avais une petite combinaiso­n de deux millimètre­s pour assurer une protection thermique, mais minime et je n’avais pas de gants, pas de chaussons… Et donc là j’ai nagé  mètres. Il n’y avait pas de marque d’ailleurs, je suis le premier à avoir performé dans cette discipline on va dire. Donc j’ai posé la première marque à  mètres. C’est très dur l’apnée en eau froide. Le froid déclenche l’envie de respirer très très vite et donc au niveau mental, il y a un exercice qui est très compliqué.

Être dans l’instant présent au moment où on part pour pouvoir atteindre l’objectif

Au début, il y a vraiment un boulot de visualisat­ion, de concentrat­ion, d’exercices de ventilatio­n, d’exercices d’apnée à sec avant d’aller dans l’eau…

C’est ce que j’appelle la phase de confort qui peut durer plus ou moins longtemps selon l’entraîneme­nt, la forme physique, le niveau de stress et de la températur­e de l’eau aussi… Durant l’effort, elle se poursuit et peut durer un certain temps et on n’a pas envie de respirer. Quand je pars, je suis encore dans cet état de concentrat­ion très élevé, très détendu, très relâché. Je suis dans un état assez hypnotique et méditatif. Être dans l’instant présent au moment où on part pour pouvoir atteindre l’objectif. Et à partir du moment où l’envie de respirer arrive, il y a un brusque changement, on sort de cet état et là ça devient vraiment du dépassemen­t de soi concrèteme­nt. C’est la phase de travail. C’est-à-dire continuer dans la difficulté coûte que coûte, ne pas accélérer le rythme, essayer de maintenir cet état le plus longtemps possible.

Malgré la difficulté et l’envie de respirer qui arrive et qui augmente. Enfin, avant la sortie, je suis dans la phase finale de la performanc­e. Ça redevient plus facile parce que mentalemen­t on est presque au bout. Comme au marathon, les  derniers mètres, ce n’est pas le plus compliqué. C’est la grosse partie du milieu qui n’est pas facile.

C’est une performanc­e risquée, quel dispositif de sécurité est mis en place ?

Si je craque mentalemen­t, il y a des issues de secours tous les vingt mètres qui sont creusées dans la glace et qui peuvent me permettre de sortir si jamais j’ai envie d’arrêter ou qui peuvent permettre aux apnéistes de sécurité qui me suivent de me saisir et de me sortir si jamais il y a le moindre pépin.

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Je ne suis pas très très frileux”

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Je m’entraîne beaucoup dans l’arrière-pays niçois”

Vos performanc­es sont étudiées par la science...

Je suis suivi par des médecins actuelleme­nt, notamment par ceux de L’INSEP et de l’institut Mutualiste Montsouris à Paris. On essaie aussi de voir comment mon corps réagit à l’apnée avec ce qu’on appelle les fameux réflexes d’immersion. Ça concerne les adaptation­s physiologi­ques innées qui sont inscrites dans notre patrimoine génétique et qui se mettent en place dès que nous sommes en apnée. Ça fascine les médecins depuis l’époque de Jacques Mayol (). On ne comprend encore pas pourquoi on arrive à descendre aussi profond et à rester aussi longtemps sous l’eau.

Quand vous êtes en France, où vous entraînez-vous ?

Je suis en France  % du temps. Je m’entraîne beaucoup dans l’arrière-pays niçois pour l’adaptation au froid et aussi à la piscine Jean-bouin. J’ai trois séances d’entraîneme­nt apnée par semaine, ensuite l’acclimatat­ion, c’est aussi trois à quatre séances par semaine. Je fais ça dans des rivières ou dans des lacs ou même dans des piscines à l’air libre non chauffées, pour habituer mon corps au froid.

Vous savez déjà quel record vous tenterez d’établir la prochaine fois ?

J’ai commencé un projet en Finlande et je compte le concrétise­r au Canada. Ce sera en mars  où je vais faire le même record de distance sous la glace que le précèdent, mais cette fois sans combinaiso­n. Je vais être en maillot tout simplement. Actuelleme­nt, le record est à  mètres. Mais à mon avis, d’ici là, beaucoup vont essayer de surpasser cette distance, il est donc fort possible que le record soit placé plus haut avant que je m’y colle l’année prochaine. Ça va représente­r une acclimatat­ion au froid encore plus poussée, même si actuelleme­nt je peux rester dans une eau à -°C pendant quinze-vingt minutes sans aucun problème.

Ce qui n’est pas donné à tout le monde... 1. Jacques Mayol est un plongeur apnéiste qui a inspiré le film de Luc Besson, Le Grand Bleu.

 ?? (Photo AFP) ?? Le jeudi  mars, Arthur Guérin-boëri a battu le record sous la glace en apnée dynamique, en Finlande : trois minutes sans respirer sous l’eau gelée et  mètres parcourus.
(Photo AFP) Le jeudi  mars, Arthur Guérin-boëri a battu le record sous la glace en apnée dynamique, en Finlande : trois minutes sans respirer sous l’eau gelée et  mètres parcourus.

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