Zones inondables : la nouvelle donne des vallées
Le préfet a présenté un état des lieux aux communes frappées par la tempête Alex. En jeu : les permis de construire et l’avenir des habitations en zone rouge.
Ils vont enfin savoir. Savoir si leur maison est en zone de danger. Savoir où l’on peut reconstruire. Savoir jusqu’où la rivière peut déborder. Et, peut-être, savoir à quel dispositif d’indemnisation ils peuvent prétendre. Le préfet des Alpes-maritimes a notifié le « porter à connaissance » aux maires de 13 communes sinistrées par la tempête Alex. Ce document administratif, fruit de six mois d’études, expose la nouvelle donne topographique dans ces vallées au visage bouleversé. Autant dire qu’il revêt un enjeu majeur pour ses habitants. Le contexte est sensible. Et la démarche, complexe. Voilà pourquoi Xavier Pelletier, préfet délégué à la reconstruction des vallées, a voulu faire preuve de pédagogie. Il brosse un état des lieux aux côtés de Johan Porcher, directeur adjoint de la DDTM 06 (direction départementale des territoires et de la mer).
/ En quoi consiste ce porter à connaissance ?
C’est la conséquence d’un « événement majeur », surtout quand il est aussi destructeur : l’état doit « le traduire en termes réglementaires, explique Johan Porcher. On porte à la connaissance des collectivités une cartographie qui transpose cet événement avec des codes couleurs. » Cette carte délimite les nouvelles zones inondables. Sur cette base, un maire pourra dorénavant refuser un permis de construire.
Cet état des lieux a été réalisé à l’aide de photographies aériennes (« orthophotos »), et d’études croisées de différents organismes (Cerema, OFB, RTM...). « Nous avons réalisé un premier jet. Nous l’avons soumis aux collectivités concernées. Puis nous sommes allés sur le terrain, à Saint-martin-vésubie par exemple, pour confronter les orthophotos à la réalité – et, si besoin, réajuster le tracé », précise le préfet Pelletier.
Six mois après Alex, l’état est donc en mesure d’évaluer les nouvelles zones inondables. Un processus express, assure ce dernier. « En 2015, cela avait pris dix-huit mois... » Cela reste pourtant long, très long, pour des habitants souvent traumatisés, qui ont parfois tout perdu. Long mais nécessaire, estime le « préfet tempête ». Ce porter à connaissance pourra être ajusté à la marge. Un état des lieux plus précis est attendu début 2022. Il faudra encore élaborer un plan de prévention des risques. Entre phase d’études et concertation avec le public, ce processus peut durer « trois-quatre ans », selon Johan Porcher.
/ Quel avenir pour les habitations en zone rouge ?
Le porter à connaissance ne ferme pas seulement la porte à de nouvelles constructions en zone rouge. Il interroge sur l’avenir des maisons qui s’y trouvent. Même celles qui sont ressorties indemnes de la tempête. Voilà pourquoi l’état marche sur des oeufs.
« Quand une maison a été peu ou pas impactée, c’est parfois difficile d’intégrer le fait que cela puisse se reproduire, admet Xavier Pelletier.
Mais les études le montrent : des événements de cette nature se reproduiront. La responsabilité de l’état, c’est de tout faire pour que, demain, les populations ne soient pas exposées à ce risque. » Comment ? En les protégeant, si possible. Avec la contrainte de « ne pas créer de dysfonctionnements en aval de la rivière ». C’est le rôle des collectivités (Métropole, Carf, Smiage) chargées d’une mission Gemapi (1), « quand il y a un intérêt général majeur, comme protéger un quartier », dixit Johan Porcher. L’état assure travailler avec elles pour cerner les priorités. L’écueil : lorsque le coût est plus élevé que la valeur du bien à protéger.
C’est là qu’intervient le fonds Barnier, alimenté par les cotisations d’assurances. « Quand les habitants sont exposés au risque, le bien est acquis via ce fonds à l’amiable, voire par une expropriation. Le bien est détruit. Et la parcelle devient inconstructible, résume Xavier Pelletier. Quelque part, on protège les gens malgré eux... » Exercice ultra-délicat, tant il touche à l’intime, voire aux racines. Johan Porcher tempère : « L’acquisition du terrain, c’est la décision ultime. »
/ Quelle différence avec l’expertise des bâtiments ?
Cruel paradoxe : une habitation jugée viable dans un premier temps peut donc être menacée de destruction. Car le porter à connaissance se distingue de l’expertise d’urgence. « Une cellule bâtimentaire avait été aussitôt mise en place avec les architectes d’urgence, le Sdis et la DDTM pour faire un diagnostic », rappelle Johan Porcher.
Plus de 2 500 bâtiments ont été auscultés et classés par couleurs (noir, rouge, jaune). Près de 200 ont été à nouveau examinés par une société privée, en tenant compte cette fois de l’exposition au risque. Xavier Pelletier sait le « traumatisme profond » dans les vallées. Mais il met en garde contre la tentation de l’oubli. «Ilestimportant de dire : “La zone rouge est bien là ; on ne peut pas reconstruire à cet endroit”. »
/ Quelle place pour les cours d’eau ?
Le 2 octobre dernier, 500 mm d’eau sont tombés en une dizaine d’heures dans la Vésubie et la Roya. Du jamais vu. Outre les drames humains, l’effet collatéral est sidérant. À Saint-martin-vésubie, la zone d’exposition au risque a quintuplé par endroits, passant de 26 à 123 mètres !
Face à cette nouvelle donne, les autorités recherchent le « profil d’équilibre de la rivière ». Le préfet Pelletier résume l’objectif : « Faire en sorte, en cas de nouvelles intempéries très fortes, que l’eau s’écoule du mieux possible, en dispersant son flux pour éviter des destructions. » Le risque : « Plus on rétrécit, plus on endigue, et plus on accélère les flux ». Or l’office français de la biodiversité l’a constaté : « Le lit des rivières de nos vallées était beaucoup plus large au XIXE siècle... et il est quasiment revenu à l’identique. »
/ A quand l’argent de l’état ?
Protéger, soit. Mais avec quels moyens ? Outre le fonds Barnier, l’état est attendu dans les vallées sur sa dotation de solidarité. Or à ce jour, il n’en a avancé que 26 millions d’euros. Plusieurs élus locaux expriment de plus en plus fort leur impatience. Les habitants de la Roya aussi : une pétition en ce sens a recueilli plus de 22 000 signatures en une semaine.
« Fonds Barnier, dotation de solidarité : tout va s’interconnecter », promet Xavier Pelletier. Ces jours-ci, le gouvernement doit recevoir un rapport détaillé des dégâts d’alex. Près de 1 500 opérations ont été recensées. « C’est une ampleur inédite, plus du double de 2015 (600 opérations) !, insiste le préfet. Ensuite, tout va se déclencher. Je pense que l’on aura des annonces dans les jours qui viennent. »
1. Gestion des milieux aquatiques et de la protection contre les inondations.