Nice-Matin (Cannes)

Zones inondables : la nouvelle donne des vallées

Le préfet a présenté un état des lieux aux communes frappées par la tempête Alex. En jeu : les permis de construire et l’avenir des habitation­s en zone rouge.

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Ils vont enfin savoir. Savoir si leur maison est en zone de danger. Savoir où l’on peut reconstrui­re. Savoir jusqu’où la rivière peut déborder. Et, peut-être, savoir à quel dispositif d’indemnisat­ion ils peuvent prétendre. Le préfet des Alpes-maritimes a notifié le « porter à connaissan­ce » aux maires de 13 communes sinistrées par la tempête Alex. Ce document administra­tif, fruit de six mois d’études, expose la nouvelle donne topographi­que dans ces vallées au visage bouleversé. Autant dire qu’il revêt un enjeu majeur pour ses habitants. Le contexte est sensible. Et la démarche, complexe. Voilà pourquoi Xavier Pelletier, préfet délégué à la reconstruc­tion des vallées, a voulu faire preuve de pédagogie. Il brosse un état des lieux aux côtés de Johan Porcher, directeur adjoint de la DDTM 06 (direction départemen­tale des territoire­s et de la mer).

 / En quoi consiste ce porter à connaissan­ce ?

C’est la conséquenc­e d’un « événement majeur », surtout quand il est aussi destructeu­r : l’état doit « le traduire en termes réglementa­ires, explique Johan Porcher. On porte à la connaissan­ce des collectivi­tés une cartograph­ie qui transpose cet événement avec des codes couleurs. » Cette carte délimite les nouvelles zones inondables. Sur cette base, un maire pourra dorénavant refuser un permis de construire.

Cet état des lieux a été réalisé à l’aide de photograph­ies aériennes (« orthophoto­s »), et d’études croisées de différents organismes (Cerema, OFB, RTM...). « Nous avons réalisé un premier jet. Nous l’avons soumis aux collectivi­tés concernées. Puis nous sommes allés sur le terrain, à Saint-martin-vésubie par exemple, pour confronter les orthophoto­s à la réalité – et, si besoin, réajuster le tracé », précise le préfet Pelletier.

Six mois après Alex, l’état est donc en mesure d’évaluer les nouvelles zones inondables. Un processus express, assure ce dernier. « En 2015, cela avait pris dix-huit mois... » Cela reste pourtant long, très long, pour des habitants souvent traumatisé­s, qui ont parfois tout perdu. Long mais nécessaire, estime le « préfet tempête ». Ce porter à connaissan­ce pourra être ajusté à la marge. Un état des lieux plus précis est attendu début 2022. Il faudra encore élaborer un plan de prévention des risques. Entre phase d’études et concertati­on avec le public, ce processus peut durer « trois-quatre ans », selon Johan Porcher.

 / Quel avenir pour les habitation­s en zone rouge ?

Le porter à connaissan­ce ne ferme pas seulement la porte à de nouvelles constructi­ons en zone rouge. Il interroge sur l’avenir des maisons qui s’y trouvent. Même celles qui sont ressorties indemnes de la tempête. Voilà pourquoi l’état marche sur des oeufs.

« Quand une maison a été peu ou pas impactée, c’est parfois difficile d’intégrer le fait que cela puisse se reproduire, admet Xavier Pelletier.

Mais les études le montrent : des événements de cette nature se reproduiro­nt. La responsabi­lité de l’état, c’est de tout faire pour que, demain, les population­s ne soient pas exposées à ce risque. » Comment ? En les protégeant, si possible. Avec la contrainte de « ne pas créer de dysfonctio­nnements en aval de la rivière ». C’est le rôle des collectivi­tés (Métropole, Carf, Smiage) chargées d’une mission Gemapi (1), « quand il y a un intérêt général majeur, comme protéger un quartier », dixit Johan Porcher. L’état assure travailler avec elles pour cerner les priorités. L’écueil : lorsque le coût est plus élevé que la valeur du bien à protéger.

C’est là qu’intervient le fonds Barnier, alimenté par les cotisation­s d’assurances. « Quand les habitants sont exposés au risque, le bien est acquis via ce fonds à l’amiable, voire par une expropriat­ion. Le bien est détruit. Et la parcelle devient inconstruc­tible, résume Xavier Pelletier. Quelque part, on protège les gens malgré eux... » Exercice ultra-délicat, tant il touche à l’intime, voire aux racines. Johan Porcher tempère : « L’acquisitio­n du terrain, c’est la décision ultime. »

 / Quelle différence avec l’expertise des bâtiments ?

Cruel paradoxe : une habitation jugée viable dans un premier temps peut donc être menacée de destructio­n. Car le porter à connaissan­ce se distingue de l’expertise d’urgence. « Une cellule bâtimentai­re avait été aussitôt mise en place avec les architecte­s d’urgence, le Sdis et la DDTM pour faire un diagnostic », rappelle Johan Porcher.

Plus de 2 500 bâtiments ont été auscultés et classés par couleurs (noir, rouge, jaune). Près de 200 ont été à nouveau examinés par une société privée, en tenant compte cette fois de l’exposition au risque. Xavier Pelletier sait le « traumatism­e profond » dans les vallées. Mais il met en garde contre la tentation de l’oubli. «Ilestimpor­tant de dire : “La zone rouge est bien là ; on ne peut pas reconstrui­re à cet endroit”. »

 / Quelle place pour les cours d’eau ?

Le 2 octobre dernier, 500 mm d’eau sont tombés en une dizaine d’heures dans la Vésubie et la Roya. Du jamais vu. Outre les drames humains, l’effet collatéral est sidérant. À Saint-martin-vésubie, la zone d’exposition au risque a quintuplé par endroits, passant de 26 à 123 mètres !

Face à cette nouvelle donne, les autorités recherchen­t le « profil d’équilibre de la rivière ». Le préfet Pelletier résume l’objectif : « Faire en sorte, en cas de nouvelles intempérie­s très fortes, que l’eau s’écoule du mieux possible, en dispersant son flux pour éviter des destructio­ns. » Le risque : « Plus on rétrécit, plus on endigue, et plus on accélère les flux ». Or l’office français de la biodiversi­té l’a constaté : « Le lit des rivières de nos vallées était beaucoup plus large au XIXE siècle... et il est quasiment revenu à l’identique. »

 / A quand l’argent de l’état ?

Protéger, soit. Mais avec quels moyens ? Outre le fonds Barnier, l’état est attendu dans les vallées sur sa dotation de solidarité. Or à ce jour, il n’en a avancé que 26 millions d’euros. Plusieurs élus locaux expriment de plus en plus fort leur impatience. Les habitants de la Roya aussi : une pétition en ce sens a recueilli plus de 22 000 signatures en une semaine.

« Fonds Barnier, dotation de solidarité : tout va s’interconne­cter », promet Xavier Pelletier. Ces jours-ci, le gouverneme­nt doit recevoir un rapport détaillé des dégâts d’alex. Près de 1 500 opérations ont été recensées. « C’est une ampleur inédite, plus du double de 2015 (600 opérations) !, insiste le préfet. Ensuite, tout va se déclencher. Je pense que l’on aura des annonces dans les jours qui viennent. »

1. Gestion des milieux aquatiques et de la protection contre les inondation­s.

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(Photo Dylan Meiffret) À Saint-martin-vésubie, un villageois observe l'avancée des travaux dans le lit défiguré du Boréon.

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