Nice-Matin (Cannes)

Après, la vie sans eux Joffrey, mari de Nadine Devillers : il est fort « pour elle »

- Suite et fin de notre enquête réalisée par

C’était la joie, la couleur, les corps qui bougent, les mélodies qui résonnent. C’était un sourire, un mot gentil, une attention. Toujours le regard tourné vers les autres. Simone Barreto Silva, c’était la tolérance... Cette expatriée brésilienn­e avait fait sa vie en France, où elle était arrivée à l’âge de  ans. Native de Cidade Baixa, dans la banlieue de Salvador, cette femme à l’énergie débordante, toujours prête à rendre service, adorait le foot, dansait la capoeira, et était une sacrément bonne cuisinière ! Simone avait  ans, lorsqu’elle a croisé le chemin de Brahim A., ce matin-là, dans cette basilique où elle s’était courageuse­ment précipitée pour porter secours, alertée du drame par un témoin. Une heure et demie après, après s’être battue comme une lionne pour vivre, son dernier souffle aura été pour l’essence de sa vie : « Dites à mes enfants que je les aime ».

Vincent Loquès était aussi père de famille. Le sacristain de la basilique, troisième victime du fanatique islamiste, allait avoir  ans. C’était un homme de foi dévoué, sérieux et calme. Vincent était le visage apaisant de la basilique depuis , celui qui avait toujours une parole aimable pour les fidèles de Notre-dame qu’il connaissai­t si bien. Nadine Devillers en faisait partie...

Dès les premiers jours sans Nadine, le coeur ouvert en deux, il le disait déjà : «Jeveuxêtre­fortpour elle. » Six mois après ce jour maudit, où un terroriste lui a enlevé la femme qu’il aimait plus que tout depuis 26 ans, Joffrey tient sa promesse. Il n’a pas flanché. Il ne flanchera pas. Dans le bureau de son avocat, tout en retenue, ce grand gaillard, au visage d’enfant, n’est, bien sûr, plus tout à fait le même, mais il sourit : «Oui,çava.» Grâce aux amis, jure-t-il, grâce à tous ceux qui l’entourent, grâce au travail, à ses collègues. « Depuis le drame, je suis entouré de gens si bienveilla­nts et compétents. »

Alors, oui «çava», mais il le répète encore et encore : « C’est pour elle. C’est ce qu’elle aurait voulu, que je réussisse ma vie, que je sois heureux. » Heureux, malgré tout et sans elle. Malgré ce 29 octobre 2020 où le sang a coulé à la basilique Notre-dame. Malgré le hasard qui a mis Nadine sur le chemin du terroriste et de sa haine aveugle. Nadine Devillers, 60 ans, était allée prier avant de se rendre à un rendez-vous médical.

« Arrête de faire ta Cosette ! »

Depuis, Joffrey a passé des nuits sans sommeil, des week-ends sans repos pour concrétise­r le rêve de Nadine : éditer son autobiogra­phie. Elle avait couché sa vie sur papier. Pas toujours rose. Un père maltraitan­t, une mère qui l’appelait « Cosette » et quelques claques, quelques couacs de parcours, quelques rébellions aussi, dont Nadine, boule d’énergie, s’était toujours relevée avec plus de force encore. « Son rêve c’était que ce livre soit édité, je me devais de le faire », explique Joffrey. Le sourire s’élargit : « Ma femme était prolixe, il y avait plus de 900 pages. Je l’ai réduit comme peau de chagrin, mais j’ai gardé l’essentiel, le substrat. C’est le dernier hommage que je pouvais lui rendre. » Des heures et des heures de relecture, comme un ultime et immense plongeon dans la vie de cette femme qu’il connaissai­t mieux que quiconque : «Ça m’a fait du bien. Ça a été un travail de groupe. Et tous les amis m’ont aidé. Comme Martine, par exemple, qui a fait l’illustrati­on de la couverture », le dessin épuré d’une petite fille aux cheveux noirs.

« Arrête de faire ta Cosette ! » sortira le 21 octobre prochain. «Le titre, c’était important », souffle Joffrey. Un titre, une illustrati­on et ce bandeau : “autobiogra­phie d’une victime de l’attentat de la basilique Notre-dame”. Car il y avait Nadine, mais aussi Simone et Vincent Loquès... « Je pense souvent aux proches de Simone et de Vincent. Je n’ai pas trop de nouvelles des familles malheureus­ement, mais j’en ai de temps en temps. Avoir des pensées pour eux, c’est important », confesse-t-il.

Pendant un temps, Joffrey a été suivi par l’associatio­n Montjoye. « J’ai vu quelques fois un psychologu­e, ils sont très bien. Ils font un travail remarquabl­e dans cette associatio­n. Mais rapidement, je n’y suis plus allé, je me suis rendu compte que je n’en avais pas besoin », lâche-t-il. « Il faut profiter de la vie chaque jour ! Je le savais déjà, mais ce drame me l’a rappelée encore. »

« Le temps ne passe pas pareil pour tous »

Joffrey a fait de son immense souffrance un moteur de vie. Certains ne le peuvent pas. « Chaque proche de victime a sa propre façon d’appréhende­r les choses », souligne Maître Philippe Soussi. Les yeux plissés, l’avocat au barreau de Nice regarde Joffrey : « Pardonnezm­oi de vous le dire, mais votre force intérieure me frappe. Vous parlez des gens qui vous entourent, qui vous ont permis de rester debout, mais en fait c’est de vous que vous parlez. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais il y a des gens qui n’arrivent pas à puiser cette force en eux. Le terrorisme, c’est pour provoquer la terreur et vous, vous n’êtes pas terrorisé. »

Philippe Soussi enchaîne doucement : « Le temps ne passe pas de la même manière pour tous... Et surtout le temps du procès », prévient-il. Un temps crucial, essentiel, mais pas le seul : « Un procès, il prend fin. Si on a tout misé dessus, après, il y a un vide. J’ai toujours été frappé de voir comme certaines personnes se sentent seules après un procès. Mais vous, vous me semblez déjà presque dans l’après », chuchote l’avocat en regardant Joffrey qui acquiesce du regard, sans un mot.

Le veuf de Nadine a été prévenu que Brahim A., entendu pour la première fois le 6 avril par le juge d’instructio­n, a allégué ne se souvenir de rien : ni des faits à Nice, ni de son passage en Italie, ni même de certaines choses de son passé en Tunisie... « Je ne m’attendais pas à grande chose de cette audition, réplique Joffrey. Je ne me faisais aucune illusion. » Il fait une pause avant de glisser, simple constat, sans haine : « Cette amnésie, c’est juste une défense de lâche. »

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(Photo Éric Ottino) Joffrey Devillers, mari de Nadine Devillers, chez son avocat maître Philippe Soussi.
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(DR) Vincent Loquès.
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(DR) Nadine Devillers.
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(DR) Simone Barreto-silva.

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