Nice-Matin (Cannes)

Boîtes de nuit : « On nous laisse mourir »

- ... JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD jfroubaud@nicematin.fr

Il tire sa carte d’électeur de son portefeuil­le. La tourne et la retourne. Une pause. Un soupir de résignatio­n indignée. « Ça fait un moment que j’y pense. A quoi me sertelle ? »

Pour Jérôme Calatraba, la réponse ne fait plus aucun doute : définitive­ment à rien. « Avant la Covid déjà, nous, les patrons de discothèqu­es étions considérés comme des moins que rien. La pandémie n’a fait que confirmer ce que je ressentais déjà : aux yeux de ceux qui nous gouvernent, nous ne sommes pas des chefs d’entreprise. Nous sommes des fantômes qu’on laisse mourir dans l’indifféren­ce générale ! »

L’ancien footballeu­r devenu gérant du High Club, la dernière grande discothèqu­e niçoise sur la Promenade des Anglais, n’a même pas fait mine d’être étonné quand Emmanuel Macron a dévoilé la feuille de route d’un déconfinem­ent par palier.

« On ne nous autorisera rien avant janvier … »

Dans la colonne « nightclub », la case reste barrée ! Depuis près de quinze mois. Pas de « reopening », pas même de perspectiv­e. « Dans le métier, les copains disent tous qu’on a été les premiers fermés et qu’on sera les derniers ouverts… Moi, je crains que ce soit bien pire : qu’on prive les jeunes de dancefloor au mieux jusqu’en janvier 2022. J’en prends hélas le pari. »

La complainte du gérant de PME en galère, Jérôme tente de l’adoucir. Pure fierté. « Je gère mon entreprise en bon père de famille, donc j’avais un petit matelas pour survivre… Mais là, j’ai cinq mois de visibilité devant mois, pas un jour de plus… »

Depuis la fin mars, le héros des nuits niçoises a dû renoncer aux paillettes de la night pour enfiler le bleu de travail. Malgré les aides de l’état, en dépit du chômage partiel qui lui permet de payer ses 29 employés –« J’ai quand même dû me résigner à ne pas reconduire les 21 CDD qui faisaient partie de notre team. Je vous jure que cela m’a fendu le coeur ! » – il faut s’acquitter du loyer de la discothèqu­e. Une petite fortune dont Jérôme, dans le monde d’avant, s’acquittait sans difficulté. Le High Club, c’était un chiffre d’affaires de près de 2 millions d’euros grâce à ces 400 000 clients fêtards annuels. Quinze mois plus tard, le compteur est à zéro : « J’ai dû créer une auto-entreprise. Un parent qui a une entreprise de BTP me sous-traite des petits marchés. On survit comme on peut… »

Accablé par le « deux poids, deux mesures »

Sous une forme de résignatio­n qui ne vire jamais à l’abattement, Jérôme Calatraba ne dissimule cependant mal son amertume. « La Covid a bon dos. Les boîtes sont fermées depuis 15 longs mois… Est-ce que l’épidémie s’est pour autant arrêtée aux frontières du pays ? C’est la même histoire pour nous que les contrainte­s strictes qui nous sont imposées vis-à-vis de la consommati­on d’alcool. Quand un gamin se biture après avoir acheté bière et vodka dans un hypermarch­é, on ne va pas chercher pénalement le gérant de la grande surface en l’accusant d’incitation à l’alcoolisme. Nous, si un client se fait choper ivre même deux heures après qu’il a quitté notre établissem­ent, on prend un, deux ou trois mois de fermeture administra­tive. »

Un deux poids, deux mesures qui pour Jérôme Calatraba résume tout : « On doit être le diable. La ministre de la Culture nous méprise, mais quand elle se fait inviter par Hanouna sur TPMP et qu’il faut se trémousser avec David Guetta, là c’est différent : elle yva!»

 ?? (Photo Eric Ottino) ?? Jérôme, le gérant du High Club sur la promenade des Anglais, craint qu’il n’y ait pas de réouvertur­e des dancefloor­s avant janvier .
(Photo Eric Ottino) Jérôme, le gérant du High Club sur la promenade des Anglais, craint qu’il n’y ait pas de réouvertur­e des dancefloor­s avant janvier .

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