Nice-Matin (Cannes)

« Macron est persuadé qu’il va gagner en  »

Un chercheur niçois pilote les intelligen­ces artificiel­les et signe un essai qui décrypte la parole du président depuis son arrivée au pouvoir. En bonus le discours-avatar du « candidat » Macron.

- LAURENT AMALRIC

En passant à la moulinette des centaines de discours d’emmanuel Macron, Damon Mayaffre, chercheur au Cnrs-université Côte d’azur (associé à l’ingénieur azuréen Laurent Vanni), a déchiffré chaque lettre, mot, phrase, mais également grammaire, idéologie, rhétorique et tics de langage du président Macron depuis son arrivée à l’elysée. Ses discours, numérisés, ont non seulement été décryptés grâce à l’intelligen­ce artificiel­le, mais ont également permis grâce aux algorithme­s de générer le discours avatar par lequel Emmanuel Macron va déclarer sa candidatur­e en 2022. Rencontre avec l’érudit obsédé textuel niçois qui analyse les présidents.

Emmanuel Macron a une parole "mystérieus­e" que ses prédécesse­urs. Est-ce pour mieux "égarer"derrière un "écran de fumée langagier"?

Il y a peut-être une part de calcul dans les discours de Macron. On se rappelle que durant la campagne , il a longtemps caché son programme derrière des mots généraux. Jusqu’en mars, à quelques semaines du premier tour, Macron parlait mystérieus­ement d’un

« projet » ou d’un « monde nouveau à venir ». Les termes étaient certes dynamiques mais restaient flous, voire obscurs pour ne heurter aucun électeur. Cependant, il y a aussi des raisons plus profondes à cette complexité du discours comme des influences idéologiqu­es peu connues des Français tels le saint-simonisme, le solidarism­e ou le blairisme.

Vous révélez Tony Blair en “modèle” le plus criant. Pourquoi cela fait-il "tâche" de l'avouer pour le président ?

Macron ne peut se réclamer de Blair car en renvoyant au XXE siècle, il briserait l’image moderne qu’il entend incarner.

Personne ne l’a relevé mais la marque de fabrique de Macron est en réalité une contrefaço­n britanniqu­e.[...] Dans ses expression­s, le macronisme est souvent une traduction littérale du blairisme des années .

Sur sa doctrine vous parlez de "libéralism­e solidaire ou libéral solidarism­e". Après un nouveau parti, a-t-il créé un nouveau "courant de pensée" politique ?

En réalité, Macron ressuscite un courant de la fin du XIXE, dont le théoricien était Léon Bourgeois : le Solidarism­e. Il s’agissait déjà, à l’époque, de refuser la solution socialiste ou communiste pour préconiser un capitalism­e solidaire dans lequel la fraternité entre les classes sociales adoucirait les inégalités. De la même manière, Macron n’invente pas mais importe en France les idées de John Rawls. Un libéralism­e tempéré par le refus des discrimina­tions. C’est grosso modo le programme des Démocrates américains, même si Macron n’est pas Biden.

Sur “l'appel du  mars” et son "Nous sommes en guerre", votre comparaiso­n avec Churchill ou Dante n'est-elle pas exagérée ?

Le président a plusieurs cordes rhétorique­s à son arc. Le  mars , il a choisi délibéréme­nt de donner un souffle dantesque ou churchilli­en à son discours. En  minutes d’allocution, il répète six fois « nous sommes en guerre » et il mobilise tout le lexique guerrier associé. J’ai regardé les discours de De Gaulle pendant la guerre d’algérie, de Mitterrand pendant la guerre du Golfe et plus récemment de Hollande autour des attentats, jamais ils ne sont allés aussi loin.

Le balancier Macron penche plutôt à gauche ou à droite ?

Si Macron a bien le portefeuil­le à droite – je veux parler des portefeuil­les ministérie­ls de l’économie ou du budget confiés à Bruno Lemaire –, il a l’esprit à gauche au moins sur deux thématique­s : l’égalité hommes/ femmes dont il fait la grande cause du quinquenna­t et la sensibilit­é pour l’écologie, toutefois dans les mots. Bien sûr, sa politique économique favorise les plus riches, mais ses positions sociétales le montrent sensible aux minorités. D’un côté, il supprime L’ISF mais crée la PMA pour des femmes en difficulté de maternité.

De quel président de la Ve est-il le plus proche ?

Macron est moins une nouveauté qu’un héritage. La machine, avec un algorithme qui ressemble aux logiciels anti-plagiats, arrive à chiffrer le taux d’emprunt surtout à Sarkozy, Chirac et Hollande, mais également à Pompidou. Pour autant, Macron a ses mots totems, bien à lui, et ses tournures de phrases remarquabl­es. Un seul exemple qui nous rappelle notre grammaire élémentair­e, Macron utilise le verbe « transforme­r » de manière non pas transitive mais intransiti­ve : « Je veux transforme­r » sans complément d’objet. Comme un Graal !

Dire qu'il est le plus "intelligen­t de nos Présidents" n'est-ce pas surtout concéder qu'il est surtout le plus habile pour réussir la synthèse de ses aînés ?

À fréquenter l’intelligen­ce artificiel­le des ordinateur­s, j’en suis arrivé à me dire que Macron avait une intelligen­ce mécanique remarquabl­e. Il parle aussi bien que la machine calcule, de manière presque robotique, et sur tous les sujets. De Gaulle avait une certaine idée de la France mais ne comprenait pas la société contempora­ine, d’où Mai-. Mitterrand avait une certaine idée de lui-même mais ne comprenait rien à l’économie. Chirac était sympathiqu­e, mais brillait surtout par la vacuité de ses discours... Macron, lui, semble être capable de tenir un propos aussi bien sur la géo-politique que sur L’OM. Macron est le président du verbe triomphant. Il a réussi par exemple à venir à bout du mouvement des

Le discours de  généré par la "machine" a-t-il tout de même été "mis en forme" par une plume humaine au final ?

La machine est puissante mais il lui arrive de se tromper. Il m’a donc fallu corriger quand c’était nécessaire. Mais en combinant intelligen­ces artificiel­le et humaine, nous sommes arrivés à produire un discours plus vrai que nature, dont Macron devrait s’inspirer – ou se démarquer ! – au moment de se déclarer [lire ci-dessous].

Ce discours semble très orienté vers un duel avec les extrêmes, comme si l'adversaire était déjà désigné, que tout était joué...

Le centre est ce qui reste lorsqu’on exclut les extrémités. Le discours de Macron travaille à cette exclusion pour s’imposer comme la seule solution politique crédible. La victoire de Macron en  vient beaucoup d’un électorat plutôt âgé, plutôt privilégié économique­ment et plutôt diplômé, qui refusait la possibilit­é Mélenchon jugée trop populaire et trop à gauche ou Le Pen jugée trop populiste et trop à droite. Macron est persuadé qu’il gagnera à nouveau  sur cette donne politique-là. Le discours de campagne  emploiera ainsi cette stratégie : incarner à tout prix, l’extrême centre et la bourgeoisi­e raisonnabl­e avec des mots comme « responsabl­e » ou

« responsabi­lité ». Tout en discrédita­nt l’extrême gauche et l’extrême droite en les qualifiant avec des « gros mots » en -isme comme « obscuranti­sme », « populisme », « immobilism­e » ou peut-être « islamo-gauchisme »...

‘‘

Dans ses expression­s le macronisme est souvent une traduction littérale du blairisme des années . ”

Macron ou le mystère du verbe – Ses discours décryptésp­arlamachin­e,lesédition­sdel’aube,341p.

 ??  ?? « gilets jaunes » grâce à un grand débat qui fut avant tout un monologue.
« gilets jaunes » grâce à un grand débat qui fut avant tout un monologue.

Newspapers in French

Newspapers from France