La course contre la montre d’un Afghan pour récupérer sa famille
Muhammad, un Afghan qui a travaillé pour les États-unis, est réfugié à Nice depuis 2015. Sa femme et ses enfants sont toujours bloqués, en butte à des tracasseries administratives. Le temps presse.
Parti d’afghanistan en avril 2015, Muhammad a traversé dix pays, parfois à pied, à travers les montagnes en plein hiver, via les Balkans, avant de s’arrêter à Nice en juin 2015. « Parce que j’aime les gens d’ici. La majorité d’entre eux ont été accueillants et gentils avec nous. Et puis votre pays a tant aidé le mien... »
Ingénieur en télécommunications, originaire de Kandahar, dans le sud-est du pays, il a d’abord travaillé comme traducteur pour l’armée américaine avant d’exercer sa spécialité pour l’agence de développement des États-unis. C’est pour cela qu’il s’est retrouvé dans le viseur des talibans qui reprenaient doucement du terrain et menaient une campagne d’assassinats ciblés dans sa province. « Ils ont mitraillé ma maison, jeté une grenade. Ils ont menacé de me tuer parce que je travaillais avec les Américains », se rappelle-t-il.
Premières démarches, début d’espoir
Quand sa femme Habiba se fait harceler et agresser en 2014, sa décision est prise : il doit quitter son pays pour sauvegarder sa vie et celle de sa famille.
Au bout de son périple, quand il descend du bus venant de Menton, sur la place Garibaldi à Nice, il entame les démarches pour obtenir le statut de réfugié. Entré dans l’union européenne via la Grèce, il est soumis à la procédure Dublin et doit donc patienter six mois pour savoir s’il y sera renvoyé par la France. Mais non. « J’ai pu retirer mon dossier de procédure normale. On écrit notre histoire, une association m’a aidé à la traduire et j’ai transmis mon dossier en avril 2016 à l’office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). » La réponse tombe en juillet de la même année : Muhammad obtient un statut de réfugié, valable 10 ans. « Pour moi, la France, c’était le pays qui avait accueilli le roi Mohammad Zaher Shah ou encore le commandant Massoud. J’étais fier de pouvoir y vivre », livre-t-il. Dans la foulée, il fait la demande d’une carte de séjour et trouve un premier boulot comme plongeur dans un restaurant pakistanais de Saint-raphaël. « C’est vital pour moi de travailler et de payer des impôts en France », lance ce père de deux enfants.
Sauver sa famille de l’enfer
Si Muhammad travaille sur la Côte d’azur, sa femme et ses deux petits, Abdul-rahman 10 ans, et Qadria, 8 ans, sont toujours bloqués dans l’enfer afghan. Forcés de changer de lieu de vie en cachette toutes les semaines.
« Mon frère s’occupait matériellement d’eux, je me fais beaucoup de soucis. Je voulais d’abord m’assurer d’avoir de quoi les faire vivre et un toit pour les héberger avant de les faire venir », avoue-t-il.
Il lance donc une demande de réunification familiale en mai 2019. Il vient de décrocher un CDI dans un autre restaurant azuréen et s’apprête à entrer dans un studio qu’il loue à Nice. C’est le début d’une longue, très longue bagarre avec l’administration française. Première étape : obtenir un visa pour sa femme et ses enfants. «Le quartier des ambassades avait été touché par une vague d’attentats, l’ambassade de France ne délivrait plus de visas que pour le personnel diplomatique », raconte Elysabeth Marque, déléguée départementale de la Cimade, qui apporte une aide juridique aux réfugiés. Il faut donc que la petite famille se rende à Islamabad, au Pakistan voisin, à plus de 1 000 km, pour rejoindre l’ambassade la plus proche et remplir une demande de visa. Mais pour ça, il faut attendre la convocation de la représentation diplomatique.
Muhammad, qui fait les démarches depuis la France, n’obtient aucune réponse pendant six mois avant de voir son dossier finalement rejeté pour vice de forme. Il renvoie les documents demandés et attend. Sans retour. En relançant par emails l’ambassade.
« Tordre le bras à l’ambassade »
En juillet 2020, désemparé, il se tourne vers la Cimade 06. «Son dossier n’avançait pas, sa famille était en danger et la seule réponse qu’il obtenait c’était : “arrêtez de nous envoyer des emails” » ,seremémore Elysabeth Marque. L’association demande l’aide d’une avocate pour porter le dossier devant le tribunal administratif de Nantes, où se trouve le bureau des familles des réfugiés, pour enjoindre l’ambassade de France à Islamabad de convoquer Habiba. « Pour tordre le bras à l’ambassade », explique la militante. Une injonction qui fonctionne puisqu’elle reçoit sa convocation pour le 26 janvier 2021 et entame sa demande de visa. Mais les galères ne s’arrêtent pas là pour la famille de Muhammad. Après la convocation, l’ambassade a quatre mois pour délivrer le visa. Outre une erreur des services français dans le nom de famille, qui ralentit encore le processus, vient le mois de mai et toujours par de réponse d’islamabad. Il faut repasser par la case tribunal pour forcer l’ambassade à délivrer le précieux visa, ce qui est chose faite en juin.
« Je ne sais pas ce qui peut lui arriver »
Le 16 août, au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans, Habiba a reçu sa convocation pour récupérer le sésame et file vers le Pakistan. La frontière est déjà aux mains des insurgés radicaux et aucun tampon justifiant son entrée dans le pays n’est apposé sur son passeport. Sans cette preuve, impossible de s’envoler vers la France.
« L’ambassade lui dit de se débrouiller. Si elle avait ce tampon, elle serait là demain », s’énerve Elysabeth Marque. « Moi, je suis prêt à payer n’importe quelle pénalité, ajoute Muhammad, désespéré. Si elle retourne en Afghanistan, avec le visa français je ne sais pas ce qui peut lui arriver. L’argent ça va, ça vient, mais la vie, quand ça part, ça ne revient plus jamais ».