« Ici il n’y a personne, et ils vont tous s’entasser ailleurs ! »
« Bienvenue. Préparez votre pass. » L’imposant panneau planté sur le parvis de Carrefour Lingostière donne le ton. « Votre centre commercial et votre hypermarché sont accessibles sur présentation de votre pass sanitaire. » Impossible d’y couper à l’entrée. On le devine aussi en arpentant les allées, moins fréquentées que d’ordinaire. Pour les clients, le contraste n’est pas flagrant. « Ça n’a rien changé. Quand on voit le monde, ça veut dire que beaucoup de gens sont vaccinés, quand même ! », déduit Élodie, 37 ans, fonctionnaire hospitalière vaccinée bon gré mal gré. Pourtant, l’impact du pass sanitaire est bien réel.
Le centre Lingostière pèse deux fois les 20 000 m2 fixés par la loi, barre fatidique au-delà de laquelle le pass est obligatoire. Six mastodontes azuréens y sont contraints depuis le 16 août. En off, des employés du centre évoquent 20 % de baisse, tant de l’affluence que du chiffre d’affaires.
Dans un magasin de la galerie marchande, une vendeuse l’estime entre 25 et 30 %. « On a senti une baisse de fréquentation dès le premier jour. » Les antivax ne sont pas les seuls à manquer à l’appel. « Des gens vaccinés mais anti-pass boycottent aussi. Carrefour a moins de monde, donc on en pâtit. » Son espoir : « Qu’on nous lâche un peu pour les fêtes de Noël ! »
Géant qui rit géant qui pleure
Cann’ à sucre, magasin de maroquinerie-bagagerie, donne sur les caisses de l’hyper. Une bonne vigie. Mais ce qui frappe Stéphanie Martinez, la responsable, c’est qu’« il n’y a pas de bruit ». On est vendredi midi, en pleine rentrée scolaire - « Et il n’y a personne. » Dans la boutique, plus de vendeuses que de clients. Jusqu’ici, Cann’ à sucre a limité la perte de chiffre d’affaires à 3 %. Le prix d’une âpre lutte. «Onadû se démener pour aller livrer chez les clients, faire du Drive, communiquer sur Facebook et Instagram... »
Trois kilomètres plus au sud, à Saintisidore, le centre Leclerc n’a pas les mêmes contraintes. C’est écrit : «Le pass sanitaire n’est pas requis pour accéder à votre centre commercial. » Plus petit, donc mieux loti.
Côté direction, pas de communication. En caisses, un rythme soutenu mais fluide. Les clients ne perçoivent pas d’impact collatéral. Mais Julien Houssin, responsable de la cordonnerie Multi-services, jouit d’une vue imprenable sur les caisses de Leclerc : « C’est clair, il y a plus de monde chez eux. Les clients de Carrefour qui n’ont pas le pass sont venus ici. On a des clients qu’on n’avait pas avant. »
Les reports de clientèle ? Vu d’auchan La Trinité, ils ne font aucun doute. « On a une baisse très nette, de l’ordre de 40 à 50 %, déplore un responsable du tabac La Tabagie. Ici, il n’y a personne, et ils vont tous s’entasser dans d’autres centres ! »
« Reviendront-ils ensuite ? »
Salia, la responsable du snack Croq’ Gourmand, dresse un constat similaire. La baisse ? « Entre 30 et 40 %. » Alors Salia fulmine quand elle voit les anti-pass filer à l’intermarché de Cantaron ou au Leclerc de Pont-michel. « S’ils partent tous ailleurs, elle est où la protection sanitaire ? Et s’ils prennent ces habitudes, reviendront-ils ensuite ? On est sur la mauvaise pente... » Chez Auchan, la baisse a été « très nette », confirme le délégué CFDT Stéphane Gauthier. « - 40 % la première semaine, - 15 à - 20 % depuis. On sent bien l’impact du pass sanitaire. »
La pilule y est d’autant plus amère que les 20 000 m2 sont atteints en comptant les réserves et... les magasins fermés depuis la crise. Des clients reviennent ? « Parce qu’ils ne trouvent pas les produits dans ces surfaces plus petites, pas dimensionnées pour recevoir de tels volumes. Alors ils se font tester ou vacciner. »
Denise et Raymond, deux habitués, « la bonne soixantaine », n’ont pas ces états d’âme. Eux sont convaincus de l’utilité du vaccin. « Faut savoir ce qu’on veut. Je préfère me balader dans un endroit où il y a moins de risque ! » Finalement, il y a bien une file d’attente, à l’entrée du centre commercial. L’attente pour se faire tester à la pharmacie.