Nice-Matin (Cannes)

« L’occident n’est plus en mesure de façonner le monde »

« Le 11-Septembre marque le début d’une période de transition qui se termine aujourd’hui avec le retrait d’afghanista­n » : 20 ans après, l’ancien amiral Pascal Ausseur en tire les leçons.

-

Ancien amiral, Pascal Ausseur dirige aujourd’hui la Fondation méditerran­éenne d’études stratégiqu­es à Toulon. Un think tank qui dissèque le fonctionne­ment du monde depuis plus de trente ans. Il nous éclaire sur les conséquenc­es du 11-Septembre.

Vingt ans après le -Septembre, qu’ont changé ces spectacula­ires attentats contre le Pentagone et les tours jumelles ?

Le -Septembre marque le début d’une rupture, d’une période de transition qui se termine aujourd’hui avec le retrait des troupes américaine­s en Afghanista­n. En , les États-unis sont la seule hyperpuiss­ance encore sur le ring.

Avec l’effondreme­nt de l’union soviétique au début des années , on est au paroxysme de l’occidental­isation du monde. On est alors persuadés que tous les problèmes du monde vont se régler à notre manière, par l’économie, qui est censée entraîner la baisse des tensions et l’adoption progressiv­e du modèle occidental de démocratie libérale. C’est la période où certains évoquaient la fin de l’histoire. Les attentats du -Septembre ont été le premier signal d’une rupture qui s’est progressiv­ement matérialis­ée. Vingt ans plus tard, le monde est beaucoup moins occidental qu’il ne l’était en .

L’occident n’est pas mort, certes, mais il n’est plus en mesure de façonner le monde. D’autres modèles apparaisse­nt et d’autres puissances révisionni­stes (Chine, Russie, Iran, Turquie…) remettent en question le statut des USA et des Européens.

Mais en quoi les attentats du -Septembre ont-ils influencé la politique

extérieure des États-unis ? En fait, l’école de pensée néoconserv­atrice, mélange de droit-de-l’hommisme et de goût de la force, qui considère que les États-unis ont pour mission de changer le monde et d’y imposer la démocratie, existait bien avant les attentats. Le -Septembre a créé une émotion qui a libéré l’hubris [l’arrogance, la démesure, Ndlr] américaine, portée par le sentiment de toute-puissance après l’effondreme­nt de L’URSS et par la conviction d’être du côté du bien. L’amérique se considérai­t dans son droit pour enfin passer à l’acte, punir les méchants et apporter les lumières.

Cela a conduit aux invasions de l’afghanista­n et de l’irak. Mais la brutalité de ces opérations, qui a mis mal à l’aise certains de leurs alliés européens, et leurs échecs spectacula­ires ont favorisé au contraire le rejet de l’occident et sa mauvaise conscience. On ne change pas les esprits et les coeurs avec des fusils.

Cet universali­sme rêvé, cette vision occidental­e devant s’imposer au monde, n’était-elle pas voué à l’échec ?

Je le pense. Il était illusoire de croire que la Chine, à la culture multimillé­naire, s’occidental­iserait en quelques années. Ou que les Russes et leur riche histoire se laisseraie­nt facilement digérer par l’occident. Cette convergenc­e de l’humanité toute entière vers un modèle unique était probableme­nt utopiste et sans doute pas souhaitabl­e.

Pour les Occidentau­x, et en particulie­r les Européens, c’est une blessure narcissiqu­e qu’il nous faut accepter. Cela nous place aussi dans une nouvelle posture, plus vulnérable, qu’il nous faut prendre en compte. Le Septembre a marqué le fait qu’une partie de l’humanité rejette notre modèle. Il marque aussi, à travers l’islam, le retour du fait religieux, alors que le XXE siècle avait été le siècle des idéologies : marxisme, nationalis­me, capitalism­e… Autant de concepts nés en Occident.

‘‘

 ?? (Photo Frank Muller) ?? Pascal Ausseur est directeur de la Fondation méditerran­éenne d’études stratégiqu­es, à Toulon.
(Photo Frank Muller) Pascal Ausseur est directeur de la Fondation méditerran­éenne d’études stratégiqu­es, à Toulon.

Newspapers in French

Newspapers from France