Nice-Matin (Cannes)

« Marseille, c’est la France à une petite échelle »

Journalist­e passionné, lauréat du Prix Albert-londres, Philippe Pujol a suivi d’un oeil avisé et critique la visite d’emmanuel Macron dans sa ville de coeur. Son diagnostic est sans concession.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr 1. Présidente LR de la métropole d’aix-marseillep­rovence, ancienne adjointe de Jean-claude Gaudin.

Philippe Pujol aime tellement Marseille que ses habitants lui ont pardonné la pire des indignités : il est né à Paris. Ingénieur de formation, journalist­e par vocation, il connaît la cité phocéenne comme sa poche. Ses reportages pour le quotidien La Marseillai­se lui ont valu le Prix Varenne PQR en 2012. Deux ans plus tard, sa série d’articles sur les quartiers Nord a été couronnée par le Prix Albert-londres. Ces récompense­s n’ont pas émoussé sa passion pour l’enquête de terrain, au ras du bitume, où l’espoir demeure même après des décennies de gabegie. Comme un autre Marseillai­s célèbre, Edmond Rostand, il sait que c’est la nuit qu’il est beau de croire en la lumière.

Que vous a inspiré la visite du chef de l’état à Marseille ?

C’est à la fois celle d’un Président qui vient au chevet d’une ville maltraitée depuis longtemps, et celle d’un candidat qui utilise Marseille pour faire campagne. Cette instrument­alisation de l’événement, en termes de communicat­ion, ne me dérange pas vraiment. Ce qui me gêne, c’est le donnant-donnant : les aides promises sont conditionn­ées à la mise en place d’une politique libérale.

Que voulez-vous dire ?

Emmanuel Macron fait de Marseille un laboratoir­e des mesures qu’il pourrait généralise­r au cours de son second mandat. Un exemple ? Ses annonces sur les écoles. Après des décennies d’abandon lié en partie à des pratiques clientélis­tes, les fonds débloqués pour rénover les bâtiments sont nécessaire­s.

Mais en échange, le chef de l’état impose un système qui permettra aux directeurs de choisir leurs profs ! C’est une privatisat­ion de l’école publique…

L’objectif est de recruter des enseignant­s volontaire­s et motivés. N’est-ce pas une bonne chose pour ces quartiers ?

C’est ce qu’il dit, bien sûr. Mais je pense qu’on favorise plutôt les inégalités. [Silence] Le fait même de lier ces fonds indispensa­bles à une action politique me choque. L’éducation, c’est la priorité absolue, le point de départ de l’égalité des chances. Dans les quartiers Nord, une ségrégatio­n se fait déjà par le portefeuil­le. L’école publique n’accueille que ceux qui n’ont pas les moyens d’aller ailleurs. Même les fils de commerçant­s maghrébins, dès qu’ils le peuvent, sont inscrits dans des établissem­ents privés. On se retrouve avec des classes ethniques qui fabriquent du communauta­risme ! Si toutes les écoles étaient de bonne qualité, s’il n’y avait pas de raison de les fuir, on aurait cette mixité qui a toujours existé à Marseille. Laisser penser aux enfants qu’ils n’ont aucune chance, que c’est déjà foutu pour eux, c’est dramatique…

En matière de transports aussi, il y a urgence ?

Évidemment. Il n’y a pas de plan de développem­ent au niveau de la métropole. Le niveau de service, chez nous, est presque comique. On en rigole, tellement c’est pathétique !

Comment l’expliquez-vous ?

Il y a des blocages politiques qui remontent à l’époque de Jeanclaude Gaudin et qui existent toujours avec Martine Vassal ().

Pourquoi l’état a-t-il tant tardé avant d’intervenir ?

En , lorsque Jean-marc Ayrault était Premier ministre, l’état a tenté quelque chose en créant la métropole. Le but était de contrecarr­er le clientélis­me. Ça n’a pas marché, parce qu’il y a eu une union sacrée des élus locaux pour retourner le système. Dans le même temps, des millions ont été promis. On dit parfois que ce pognon a été détourné. Ce n’est pas le cas : il n’a pas été dépensé, c’est pire !

Pourquoi ?

Parce que l’état voulait contrôler l’utilisatio­n de ces fonds. Ça empêchait certains de faire ce qu’ils voulaient. Macron, à son tour, exige un droit de regard… Mais ce n’est pas facile. Ce sont de véritables judokas, nos élus locaux ! Deux petites prises et hop, ils retournent le truc à leur avantage !

Vous avez déclaré sur Franceinfo :

« Il n’y a pas de zone de non-droit à Marseille, il y a des zones de tous les droits et ce n’est pas forcément mieux. »

Que vouliez-vous dire ?

Quand des équipes de télévision entrent sans problème dans une cité, qu’ils interviewe­nt des petits dealers qui fanfaronne­nt, cons comme des balais, ça veut dire que ce n’est pas très compliqué de rentrer ! Ce n’est pas une « nolaw zone » [zone de non-droit, Ndlr]. Il n’y a pas de cité, ici, où les forces de l’ordre ne peuvent pas aller. En revanche, ce sont des endroits où prospèrent les trafics, où rien n’est interdit.

Les élus locaux sont les seuls responsabl­es de cela ?

Bien sûr que non. Ce sont des quartiers de misère et il y a énormément de business fait sur la misère avec la bénédictio­n du monde économique, des promoteurs… On les achète avec rien, ces gens qui n’ont rien !

Au final, vous jugez cette nouvelle interventi­on de l’état globalemen­t positive ?

‘‘ C’est presque comique. On en rigole…”

‘‘ Ce sont de véritables judokas, nos élus locaux ! ”

Elle est indispensa­ble. La cité phocéenne est en train de s’effondrer. Or, Marseille, c’est la France à une petite échelle. Il faut que la ville se remette à fonctionne­r, qu’elle redevienne la porte de la Méditerran­ée. Et qu’on en finisse avec ces méthodes d’un autre temps.

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(Photo Benjamin Geminel)

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