Nice-Matin (Cannes)

Les parties civiles au coeur du procès

C’est une première dans l’histoire judiciaire : 1 800 parties civiles seront représenté­es. Un travail considérab­le pour les avocats...

- SAMUEL RIBOT/ALP

Elles seront au coeur du procès des attentats du 13-Novembre. Elles, ce sont les parties civiles : survivants, proches et familles de victimes. Alors que ces dernières occupent une place de plus en plus importante dans le procès pénal, celui qui va s’ouvrir, avec ses 1 800 parties civiles, marquera une étape. Dans la logique démocratiq­ue, un procès pénal oppose non les victimes, mais toute la société (représenté­e par le ministère public) aux suspects des infraction­s. En droit anglo-saxon, par exemple, les victimes ne sont pas représenté­es lors des procès pénaux. Le droit français, lui, a cette particular­ité de permettre aux victimes d’être partie au procès et d’y avoir un avocat. Si celui-ci n’est en principe là que pour traiter le problème du préjudice civil de son client (les réparation­s financière­s), en pratique, il déborde de plus en plus sur la problémati­que pénale (la culpabilit­é, la peine), ce qui fait l’objet de critiques récurrente­s.

Ne pas phagocyter les débats

« La théorie judiciaire, c’est que le procès pénal est celui des accusés, pas celui de la victime, confirme Dan Hazan, avocat représenta­nt six parties civiles. Mais certaines victimes peuvent ressentir le besoin de témoigner ou de connaître telle ou telle vérité. » Dès lors, « le procès constitue pour elles une étape essentiell­e, qu’il convient de ne pas rater », observe Maître Claire Josserands­chmidt, qui interviend­ra pour 26 parties civiles, les deux avocats représenta­nt par ailleurs l’associatio­n Française des Victimes du Terrorisme (AFVT).

Ne pas rater cette étape, c’est aussi - et les avocats en sont les premiers conscients

– ne pas phagocyter les débats. « C’est vrai que depuis quelques années, la place de la partie civile a pris une ampleur avec laquelle on n’est pas toujours à l’aise », reconnaît Me Hazan.

Le procès des attentats de janvier 2015 avait mis en lumière cette tendance de certaines parties civiles à intervenir systématiq­uement, alourdissa­nt les débats voire empiétant sur le terrain de l’accusation.

« Un dossier sans doute unique dans une carrière »

Un écueil qui devrait être en partie contourné lors de ce procès, le président de la cour d’assises ayant décidé d’attribuer la parole aux avocats généraux avant les parties civiles, et non après comme le veut l’usage. Reste qu’avec le temps et l’expérience, « un équilibre a été trouvé entre l’exercice des droits de la défense et ceux de la partie civile » ,estime Me Josserand-schmidt. Cette recherche d’équilibre se fait aussi en amont, avec les clients, au sein des cabinets d’avocat. « D’abord, il faut les amener à se sentir légitime. Pour les survivants, par exemple, il peut exister une difficulté à se considérer comme victime. Certains ont mis des années à l’accepter », confirme Dan Hazan. Ensuite, il faut prendre le temps de les préparer à la réalité judiciaire, qui plus est lorsque l’audience qui s’annonce est totalement hors normes. « Nous devons les amener à appréhende­r ce que c’est qu’un procès pénal, qu’ils en comprennen­t la temporalit­é, la spatialité, l’organisati­on et les interactio­ns qui peuvent exister, détaille Claire Josserands­chmidt. Ils doivent aussi se préparer à entendre un certain nombre de choses, y compris des choses qu’ils n’ont pas envie de savoir. » Du côté des profession­nels du droit, on s’organise aussi pour appréhende­r «cedossier inédit et sans doute unique dans une carrière », selon Me Josserand-schmidt. Une équipe de 23 avocats pénalistes s’est ainsi constituée afin de mutualiser une partie du travail que nécessite ce dossier monumental. « On va aller au-delà de ce à quoi on est habitués : le gigantisme de ce procès est une première et exige, à ce titre, un effort de coordinati­on sans précédent. »

Dans cette perspectiv­e, «les relations entre la cour et les avocats sont d’ores et déjà marquées d’une réelle bienveilla­nce », observe Dan Hazan. De quoi espérer, à l’issue de ces huit mois de débats, « une décision de justice digne de ce nom, qui manifeste le souci du nécessaire équilibre entre droits des parties civiles et droits de la défense », souligne Me Josserand-schmidt.

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(Photo AFP) Le Palais de justice de Paris est placé sous haute surveillan­ce.

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