Chantiers pillés : « On m’a volé une pelle mécanique ! »
Quatre en un an ! Des vols sur quatre chantiers différents, un seul auteur interpellé, une pelle mécanique envolée. Yann de Carné, entrepreneur dans le bâtiment à Nice, est à bout de patience.
Le « Bobcat », c’était tout près de la chapelle Saintjean, à Antibes, dont son entreprise assurait la réfection. Une petite pelle mécanique volatilisée. Petite, mais deux tonnes quand même, et plus de vingt mille euros à l’achat. Vol à peine croyable, qui cependant n’est pas une exception. Un commando nocturne. « Sûrement des pros. Qui y sont carrément allés avec un camion plateau. Probablement pour revendre l’engin à l’étranger, après l’avoir maquillé », témoigne Yann de Carné.
Six ans qu’il est spécialisé dans la restauration de monuments historiques. Sa société, SMBR, emploie une soixantaine de salariés. Qui utilisent souvent un « pack » de quatre à cinq outils portatifs, du matériel haut de gamme, mille cinq cents euros au bas mot. Ce dont un malfaiteur s’est emparé sur un autre chantier, à Saint-étienne-de-tinée.
Travail perdu
Celui-là, par chance, a été interpellé. C’est bien le seul. Cet homme d’une quarantaine d’années avait écoulé son butin dans le quartier des Moulins, à Nice. Il sera jugé et condamné. Mais pour un individu sous les verrous, combien dans la nature ?
« J’ai subi quatre vols en un an» , se désole Yann de Carné. Qui déplore aussi des intrusions à Fréjus et dans la Drôme. Où les visiteurs ont notamment siphonné le réservoir d’un camion, comme cela s’était déjà produit à Nice, sur un poids lourd de SMBR.
Ces faits se déroulent toujours de nuit, sur des chantiers protégés par des barrières. Le matériel électroportatif théoriquement à l’abri dans des conteneurs cadenassés.
Au-delà du préjudice immédiat, il faut, à chaque fois, composer avec la désorganisation du chantier : « Fini le matériel pour travailler, des délais d’approvisionnement qui s’allongent, des journées perdues, un manque à gagner considérable. »
Le coût indirect est très élevé. Heures fichues et frais annexes pour remettre les travaux en route. « Vingt à vingtcinq mille euros à Antibes, compte tenu de l’usure de l’engin. Et des assurances qui appliquent un coefficient de vétusté, sans prendre en compte le temps perdu et la remise en sécurité. »
Au quart du prix
Il peut arriver d’avoir affaire àdes « petites frappes qui revendent sur Le Bon Coin ». Mais pour un « Bobcat », il ne s’agit plus de « bricolos ». Systématiquement, le chef d’entreprise dépose une plainte. Ne serait-ce que pour laisser une trace, si le matériel doit être retrouvé.
L’outillage de marque se négocie entre voleurs et receleurs au quart du prix. Mais les casses sur les chantiers visent aussi les matériaux. Sacs de ciment pour les petits larcins, et pour les «pros» , tableaux électriques, bobines d’acier, tuyaux de cuivre, fers à béton, puisque tout s’est raréfié et tout a augmenté. Jusqu’au bois, convoité malgré un rapport gain-manutention moins intéressant.
« Les prix se sont envolés. Les métaux, surtout, sont facilement recyclables à la tonne », souligne Yann de Carné. Des sociétés ayant pignon sur rue ne demandent, dit-il, rien d’autre qu’une déclaration de provenance. « Depuis un an, l’acier brut prend environ 20 % tous les trimestres. Les prix ont déjà doublé et, selon la visibilité que nous avons, devraient continuer à augmenter jusqu’au premier semestre 2022. » Merci la pandémie.
Entre le redémarrage de l’économie et donc «le jeu de l’offre et de la demande » ,les difficultés liées au fret, ainsi qu’une « pénurie organisée » par des producteurs et fournisseurs qui y ont intérêt, la tendance ne semble pas devoir s’inverser.
Marge faible
Une convention entre la Fédération du BTP et les services de l’état (lire par ailleurs) suffira-t-elle à dissuader certains voleurs spécialisés ? « Je crois beaucoup à la communication. Si les forces de l’ordre sont sensibilisées et connaissent nos horaires, ne serait-ce que cela, une patrouille peut intervenir en cas de mouvement anormal sur un chantier. »
Le dépôt d’une plainte et les premières investigations prenant énormément de temps, « tout ce qui peut permettre de faciliter nos démarches va dans le bon sens ». Impossible, en revanche, d’imaginer la mobilisation d’un vigile sur chaque chantier, compte tenu de la faible rentabilité. « Notre marge nette varie entre zéro et deux pour cent », calcule l’entrepreneur. Pourquoi ne pas se recentrer sur des activités plus lucratives ? « La restauration de monuments historiques, c’est une passion. Un savoir-faire. Nos tailleurs de pierres ou nos décorateurs ont dix ans de formation. À poser des parpaings, je serais trop cher, inefficace. »