Nice-Matin (Cannes)

Chantiers pillés : « On m’a volé une pelle mécanique ! »

Quatre en un an ! Des vols sur quatre chantiers différents, un seul auteur interpellé, une pelle mécanique envolée. Yann de Carné, entreprene­ur dans le bâtiment à Nice, est à bout de patience.

- FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Le « Bobcat », c’était tout près de la chapelle Saintjean, à Antibes, dont son entreprise assurait la réfection. Une petite pelle mécanique volatilisé­e. Petite, mais deux tonnes quand même, et plus de vingt mille euros à l’achat. Vol à peine croyable, qui cependant n’est pas une exception. Un commando nocturne. « Sûrement des pros. Qui y sont carrément allés avec un camion plateau. Probableme­nt pour revendre l’engin à l’étranger, après l’avoir maquillé », témoigne Yann de Carné.

Six ans qu’il est spécialisé dans la restaurati­on de monuments historique­s. Sa société, SMBR, emploie une soixantain­e de salariés. Qui utilisent souvent un « pack » de quatre à cinq outils portatifs, du matériel haut de gamme, mille cinq cents euros au bas mot. Ce dont un malfaiteur s’est emparé sur un autre chantier, à Saint-étienne-de-tinée.

Travail perdu

Celui-là, par chance, a été interpellé. C’est bien le seul. Cet homme d’une quarantain­e d’années avait écoulé son butin dans le quartier des Moulins, à Nice. Il sera jugé et condamné. Mais pour un individu sous les verrous, combien dans la nature ?

« J’ai subi quatre vols en un an» , se désole Yann de Carné. Qui déplore aussi des intrusions à Fréjus et dans la Drôme. Où les visiteurs ont notamment siphonné le réservoir d’un camion, comme cela s’était déjà produit à Nice, sur un poids lourd de SMBR.

Ces faits se déroulent toujours de nuit, sur des chantiers protégés par des barrières. Le matériel électropor­tatif théoriquem­ent à l’abri dans des conteneurs cadenassés.

Au-delà du préjudice immédiat, il faut, à chaque fois, composer avec la désorganis­ation du chantier : « Fini le matériel pour travailler, des délais d’approvisio­nnement qui s’allongent, des journées perdues, un manque à gagner considérab­le. »

Le coût indirect est très élevé. Heures fichues et frais annexes pour remettre les travaux en route. « Vingt à vingtcinq mille euros à Antibes, compte tenu de l’usure de l’engin. Et des assurances qui appliquent un coefficien­t de vétusté, sans prendre en compte le temps perdu et la remise en sécurité. »

Au quart du prix

Il peut arriver d’avoir affaire àdes « petites frappes qui revendent sur Le Bon Coin ». Mais pour un « Bobcat », il ne s’agit plus de « bricolos ». Systématiq­uement, le chef d’entreprise dépose une plainte. Ne serait-ce que pour laisser une trace, si le matériel doit être retrouvé.

L’outillage de marque se négocie entre voleurs et receleurs au quart du prix. Mais les casses sur les chantiers visent aussi les matériaux. Sacs de ciment pour les petits larcins, et pour les «pros» , tableaux électrique­s, bobines d’acier, tuyaux de cuivre, fers à béton, puisque tout s’est raréfié et tout a augmenté. Jusqu’au bois, convoité malgré un rapport gain-manutentio­n moins intéressan­t.

« Les prix se sont envolés. Les métaux, surtout, sont facilement recyclable­s à la tonne », souligne Yann de Carné. Des sociétés ayant pignon sur rue ne demandent, dit-il, rien d’autre qu’une déclaratio­n de provenance. « Depuis un an, l’acier brut prend environ 20 % tous les trimestres. Les prix ont déjà doublé et, selon la visibilité que nous avons, devraient continuer à augmenter jusqu’au premier semestre 2022. » Merci la pandémie.

Entre le redémarrag­e de l’économie et donc «le jeu de l’offre et de la demande » ,les difficulté­s liées au fret, ainsi qu’une « pénurie organisée » par des producteur­s et fournisseu­rs qui y ont intérêt, la tendance ne semble pas devoir s’inverser.

Marge faible

Une convention entre la Fédération du BTP et les services de l’état (lire par ailleurs) suffira-t-elle à dissuader certains voleurs spécialisé­s ? « Je crois beaucoup à la communicat­ion. Si les forces de l’ordre sont sensibilis­ées et connaissen­t nos horaires, ne serait-ce que cela, une patrouille peut intervenir en cas de mouvement anormal sur un chantier. »

Le dépôt d’une plainte et les premières investigat­ions prenant énormément de temps, « tout ce qui peut permettre de faciliter nos démarches va dans le bon sens ». Impossible, en revanche, d’imaginer la mobilisati­on d’un vigile sur chaque chantier, compte tenu de la faible rentabilit­é. « Notre marge nette varie entre zéro et deux pour cent », calcule l’entreprene­ur. Pourquoi ne pas se recentrer sur des activités plus lucratives ? « La restaurati­on de monuments historique­s, c’est une passion. Un savoir-faire. Nos tailleurs de pierres ou nos décorateur­s ont dix ans de formation. À poser des parpaings, je serais trop cher, inefficace. »

 ?? (Photo Cyril Dodergny) ?? Yann de Carné sur un chantier : chaque « pack » d’outillage électroméc­anique coûte   euros. C’est ce qu’on lui a volé à Saint-étienne-de-tinée.
(Photo Cyril Dodergny) Yann de Carné sur un chantier : chaque « pack » d’outillage électroméc­anique coûte   euros. C’est ce qu’on lui a volé à Saint-étienne-de-tinée.

Newspapers in French

Newspapers from France