L’exécutif rattrapé par sa gestion de la Covid-
L’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn a été mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » par la Cour de justice de la République. D’autres pourraient suivre.
C’est la première personnalité mise en cause dans l’enquête sur la gestion de l’épidémie de Covid-19 : l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn a été mise en examen hier pour « mise en danger de la vie d’autrui » à l’issue de son audition par des magistrats de la Cour de justice de la République (CJR). Elle a par ailleurs été placée sous le statut plus favorable de témoin assisté pour « abstention volontaire de combattre un sinistre ».
Arrivée peu avant 9 heures au siège de la Cour, seule habilitée à juger des ministres dans l’exercice de leurs fonctions, elle en est ressortie après plus de neuf heures d’audition sans dire un mot à la presse.
« Je ne laisserai pas salir mon action »
« Aujourd’hui, c’est une excellente opportunité pour moi de m’expliquer et de rétablir la vérité des faits », avait-elle déclaré à son arrivée, en compagnie de son avocat Me Eric Dezeuze. « Je ne laisserai pas salir l’action du gouvernement, mon action en tant que ministre, alors que nous avons fait tant pour préparer notre pays à [la] crise sanitaire mondiale. »
La CJR a ouvert en juillet 2020 ce vaste dossier consacré à la manière dont les autorités françaises ont anticipé puis géré quotidiennement l’épidémie de coronavirus, qui a fait au moins 115 000 morts dans le pays, selon Santé publique France.
Au tout début de l’année 2020, Mme Buzyn occupait sur ce point un rôle central, puisqu’elle était à la tête du ministère de la Santé de mai 2017 à février 2020. Alors que le monde commençait à prendre peur après les informations alarmantes venant de Wuhan, en Chine, cette hématologue de formation avait pris la parole à l’elysée le 24 janvier pour dire : «Les risques de propagation du coronavirus dans la population sont très faibles. » Avant de préciser que cette analyse pouvait « évoluer ». Mi-février, elle avait quitté le gouvernement pour briguer la mairie de Paris à la place de Benjamin Griveaux, contraint de renoncer après la diffusion de vidéos intimes par l’artiste controversé Piotr Pavlenski. Elle avait alors été remplacée au ministère par l’ex-ps Olivier Véran. Mais quelques jours après sa défaite électorale, alors que la France se confinait, elle créait un tollé en déclarant dans Le Monde du 17 mars 2020 : « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. » « Depuis le début, je ne pensais qu’à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade », avait-elle encore dit, à propos des élections municipales.
La majorité fragilisée ?
Des propos confirmés en juin 2020 devant la commission d’enquête de l’assemblée nationale sur la gestion de la crise sanitaire : elle y avait indiqué avoir alerté l’elysée et Matignon dès janvier sur le « danger » potentiel du coronavirus. Manque d’équipements de protection pour les soignants et la population, errements sur la nécessité ou non de porter des masques : la CJR a reçu pas moins de 14 500 plaintes liées à la Covid-19, selon le procureur général près la Cour de cassation François Molins ; 9 ont été jugées recevables. Depuis, d’autres plaintes ont été jointes à l’enquête, et des perquisitions ont été menées mioctobre 2020 aux domiciles et bureaux du ministre de la Santé Olivier Véran, de l’expremier ministre Edouard Philippe, de Mme Buzyn et de l’ex-porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Ce développement majeur pourrait être suivi d’autres convocations visant des membres actuels ou passés de l’exécutif, dont MM. Véran et Philippe, et avoir un impact politique pour la majorité, à sept mois de la présidentielle. Interrogé jeudi sur la convocation d’agnès Buzyn, Jean Castex a répondu qu’« un chef de gouvernement ne peut pas commenter un processus judiciaire en cours ».
« Dangereux précédent »
Mais la présidente déléguée de LREM, Aurore Bergé, a estimé que cette mise en examen créait « un précédent dangereux » : « Si, demain, un ministre peut être mis en examen pour ce qu’il n’aurait pas fait, pas assez fait, ou mal fait, alors qui qualifie le “mal fait” ? Quand ? Sur quels critères d’appréciation ? »
« Il est bon qu’une ex-ministre vienne s’expliquer devant la justice sur son attitude face à une crise qui a eu des conséquences très graves » ,ajugé de son côté le député La France insoumise et porte-parole de Jean-luc Mélenchon, Alexis Corbière. Tout en mettant en garde : « Je ne voudrais pas qu’on mette en scène le fait qu’il y ait un fusible. » Et d’ajouter : « On sait tous comment cela fonctionne : Matignon contrôle cela de près et l’élysée aussi contrôle cela de près. »