Nice-Matin (Cannes)

Les « merdias »

- L’ÉDITO DÉCALÉ D’ERIC NERI Rédacteur en chef edito@nicematin.fr

Sale temps pour les médias.

Les « gilets jaunes » nous ont rhabillés pour l’hiver il y a deux ans. Désormais, il n’y a plus de saison pour nous affubler de ce néologisme peu ragoûtant de « merdias ». Avec le vaccin et le pass sanitaire, les journalist­es ont reçu une deuxième volée de bois vert sur les réseaux sociaux et pendant les manifs du samedi. Mais à force de se faire marcher dessus – même si cela est censé porter bonheur – une odeur de plus en plus nauséabond­e se dégage. La critique dérive vers la recherche du bouc émissaire, et l’histoire nous apprend que cela peut parfois se terminer très mal. Il y a quand même quelque chose qui ne tourne pas rond quand certains de nos confrères en viennent à recourir à des sociétés de sécurité pour pouvoir exercer leur métier.

Quand on fait profession de relater et d’essayer de décrypter, avec toute la distance nécessaire, les événements petits ou grands de ce bas monde, il serait cependant malvenu de balayer d’un revers de main cette charge.

Dans une société bouleversé­e par les coups de boutoir de la mondialisa­tion et l’effilochag­e du « vivre ensemble », elle traduit le malaise ressenti par une partie de la population qui a le sentiment d’être délaissée, pire : maltraitée, par ce qu’elle nomme « l’establishm­ent ».

Il n’y a qu’à voir l’audience que certains de ces révoltés drainent sur les réseaux sociaux pour mesurer l’ampleur du phénomène. À titre d’exemple, plus de

  personnes sont abonnées à la page Facebook d’un Azuréen, Olivier Rohaut alias « Oliv Oliv », figure des « gilets jaunes », des anti-pass et anti-vaccin ; ses « live » – ses directs – sont suivis par plusieurs milliers d’internaute­s. Pour notre part, nous continuero­ns à donner la parole aux participan­ts à ces mouvements, et plus généraleme­nt à refléter la pluralité des expression­s dans tous les domaines. Tout en exerçant notre regard critique, notamment lorsque certaines dérives nous paraissent inacceptab­les, de quelque bord qu’elles viennent. Même si nous ne nous faisons guère d’illusion sur notre capacité à convaincre de notre bonne foi. Pour preuve, les chicayas hebdomadai­res sur la fréquentat­ion des manifestat­ions, alors que nous publions les chiffres des organisate­urs et de la police.

Nous ne nous leurrons pas, non plus, sur la possibilit­é de convaincre de notre indépendan­ce. C’est pourtant bien mal connaître le tempéramen­t des journalist­es que de les croire inféodés à Macron, à leur patron ou à je ne sais quel pouvoir. C’est avoir une vision bien réductrice d’un monde complexe que de les imaginer, au sein d’une même rédaction, tous favorables au pass, au vaccin ou mettant le même bulletin de vote dans l’urne. Il nous reste à souhaiter à « Oliv Oliv » – désormais chroniqueu­r chez Hanouna sur C – la bienvenue dans le monde des « merdias ». Pardon, dans la société du spectacle.

« À force de se faire marcher dessus – même si cela est censé porter bonheur – une odeur de plus en plus nauséabond­e se dégage. »

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