Attentats du -Novembre : les écueils d’un maxi-procès
Troublé dans ses premiers instants par le comportement de Salah Abdeslam et par la masse de parties civiles parfois fantaisistes, ce procès historique entre lundi dans le vif du sujet.
Parfois, face à des accusés éruptifs, un dossier titanesque (ici, un million de pages), un tel nombre de victimes authentiques et l’afflux de parties civiles imaginaires voire fantaisistes, il faut le calme d’un magistrat chevronné pour mener un procès à bien.
Le président de la cour d’assises spéciale Jean-louis Périès, 65 ans, a fait preuve depuis l’ouverture du procès des attentats du 13 novembre 2015 de sang-froid, et d’un sens certain de la répartie. Face à Salah Abdeslam, le Franco-marocain de 31 ans seul survivant du commando de tueurs, ses « punchlines » spontanées ont fait mouche.
« Modérez vos propos »
L’accusé se livre-t-il à des proclamations de foi musulmane ? « On n’est pas dans un tribunal ecclésiastique mais dans un tribunal démocratique. » Se proclame-t-il « combattant de l’état islamique » quand on l’interroge sur sa profession ? « Moi, j’avais “intérim”, comme profession ». Tente-t-il de dédouaner tout à trac deux de ses co-accusés qui l’avaient aidé à fuir Paris le 14 novembre 2015 ? « Vous avez eu cinq ans pour parler, là, ce n’est pas encore le moment. »
Le président a été tout aussi habile avec les avocats des victimes imaginaires ou abusives, apparues tardivement pour se constituer partie civile : une spectatrice du match France-allemagne du 13 novembre au stade de France, des passants d’après les tueries des terrasses, des parents très (trop) éloignés des victimes, les communes de Paris et Saint-denis, la société exploitant le Bataclan et ses filiales… À tous ceuxlà, le président a concédé un mois de délai pour un débat le 4 octobre, qui pourrait aboutir à les expulser du procès, comme le réclame le parquet. Et un avocat qui se risquait à dénoncer un « scandale judiciaire » pour son client a été sèchement renvoyé dans les cordes d’un simple « Modérez vos propos ».
C’est de cette façon que le président Périès a pour l’instant désamorcé les mines jalonnant son procès, pour entrer dans le vif du sujet à partir de lundi. Un des chefs de l’enquête policière française et la juge d’instruction belge Isabelle Panou seront ainsi les premiers témoins à la barre, où ils exposeront la procédure ayant abouti à accuser 20 personnes, dont les 14 présentes au procès. Toute la semaine vont ensuite défiler experts et enquêteurs, qui seront probablement bombardés de questions sur le grand sujet périphérique de ce dossier : les supposées failles de l’action publique.
« Failles » de l’état ?
Comment Salah Abdeslam at-il pu quitter Paris au matin du 14 novembre, alors que son nom était connu de la police dès la nuit d’avant ? Polices belges et françaises ont-elles assez coopéré avant les attaques pour tenter de les prévenir ? Pouvait-on, dans l’absolu, empêcher ces attentats ?
Les autorités et leurs représentants appelés à témoigner tenteront sans doute de saisir l’occasion de désamorcer cette polémique récurrente, où l’état est parfois mis au banc des accusés à la place des criminels. Certaines parties civiles ont demandé à ce titre d’auditionner comme témoins l’ex-premier ministre Manuel Valls, les anciens ministres Jean-yves Le Drian (Défense) et Bernard Cazeneuve (Intérieur), l’ancien patron du Renseignement Bernard Squarcini et l’ex-patron du Raid Jean-michel Fauvergue. Les deux derniers ont d’ailleurs accrédité, dans un documentaire récemment diffusé sur Arte, cette thèse des « failles ». Le président de la cour d’assises a répondu qu’il déciderait vers le mois de mars si ces auditions sont possibles. François Hollande, lui, à la tête de l’état au moment des faits, doit être entendu le 10 novembre prochain.