Vivre malgré l’ivresse du sommeil
Atteinte d’hypersomnie idiopathique, Angélique, une jeune Niçoise de 29 ans, doit consentir chaque matin d’immenses efforts pour se réveiller et lutte au quotidien contre la somnolence.
Quatre-vingts pour cent des handicaps sont invisibles »
peut-on lire sur le sac qu’angélique porte à son épaule. Un clin d’oeil à ceux qui peuvent s’irriter de voir cette jeune femme de 29 ans, apparemment en pleine santé, se tenir avec peine debout dans les transports en commun ou demander à s’asseoir. Angélique souffre d’hypersomnie idiopathique, un trouble bénin d’un point de vue somatique, mais qui empoisonne son quotidien. « Au-delà de la somnolence diurne, je souffre d’une très forte inertie au
réveil. » S’il est difficile pour beaucoup d’entre nous de quitter les bras de Morphée lorsqu’une alarme vient signifier qu’il est temps de se lever, pour Angélique, c’est une immense épreuve. Elle a été ainsi contrainte de mettre en place un tas de dispositifs, parmi lesquels l’intervention de son fils de 9 ans qu’elle élève seule. Il sait qu’il doit aller réveiller sa maman tous les matins, en complément des alarmes qu’elle-même enclenche et des autres appels qu’elle reçoit d’une amie. « Même après m’avoir eue au téléphone, elle rappelle 30 minutes plus tard, pour vérifier que je suis debout, via les bruits d’une cafetière et de l’eau qui coule. Car, aussitôt réveillée, je me rendors. Il m’arrive d’éteindre mon réveil inconsciemment, ou de rêver que je suis levée, alors que je dors… » résume Angélique. « Jusqu’à 17 heures par jour »
Même si cette jeune maman consent d’immenses efforts pour que son fils ne fasse pas les frais de son handicap, elle a dû se résoudre l’an dernier à informer l’établissement où il est scolarisé du trouble dont elle souffre. « Il était
important d’expliquer les retards du matin - même s’ils sont rares bien indépendants de sa volonté ».
Toujours souriante en dépit de ce sommeil qui abîme sa vie de jeune femme, Angélique décrit les situations cocasses que ses troubles
l’amènent à vivre : « Quand je m’endors en plein repas de famille, ce qui n’est pas toujours bien perçu » ,ouque « je monte dans un bus ou le tramway et que je me retrouve, en ouvrant les yeux, à plusieurs stations de là où j’aurais dû descendre ! »
Elle raconte aussi ses rendez-vous médicaux ou administratifs ratés faute de s’être réveillée, la difficulté d’en expliquer les causes, d’en obtenir d’autres... Et puis, il y a aussi ces remarques récurrentes - « Tu fais la tête ? » « Tu as l’air dans la lune ! » - qui l’obligent à se justifier inlassablement : « Mais non, je ne fais pas la tête, il me faut simplement faire d’énormes efforts pour me concentrer sur ce que vous dites ! »
Dans son malheur, Angélique a néanmoins de la chance : le neurologue qui la suivait pour des douleurs chroniques et diffuses survenues de façon concomitante avec ses troubles du sommeil, a rapidement pris au sérieux ses troubles. « Je me plaignais de trop dormir, jusqu’à 17 heures par jour, d’être tout le temps somnolente. » Et il va l’adresser à un pneumologue qui, après un examen du sommeil à l’hôpital, évoquera rapidement une hypersomnie idiopathique. « Mais c’est tout ce qu’il m’a dit. Et il m’a mise sous traitement psychostimulant destiné à me maintenir réveillée. Le problème, c’est que j’ai perdu beaucoup de poids, je n’avais plus faim. » Perdue, la jeune Niçoise se tourne vers une « Monter dans le tram et se retrouver, en ouvrant les yeux, à plusieurs stations de là où on devait descendre... »
association de patients souffrant de la même maladie du sommeil qu’elle. Elle l’orientera vers le centre national de référence pour l’hypersomnie à Montpellier (1). C’est là que le diagnostic va être définitivement établi après une batterie
d’examens. « Mettre un mot a été un soulagement dans la mesure où je me sentais très culpabilisée par ce sommeil envahissant. Mais ça a été aussi une source d’inquiétude lorsque j’ai découvert que ce trouble m’accompagnerait toute ma vie. Les cas de guérison spontanée sont très rares. » « Maman est malade du sommeil »
Les années ont passé depuis ce diagnostic et Angélique a accepté ses troubles, rassurée sur ses capacités à vivre seule avec son enfant. « Lorsqu’il était encore tout jeune, l’une de mes grandes craintes, lorsqu’on prenait ensemble un transport en commun, c’était de m’endormir et qu’il ne s’égare, livré à lui-même. Depuis, j’ai relativisé ce danger, j’ai appris à lui faire confiance… Et il est pleinement conscient que sa maman est malade du sommeil, comme il dit. » Révéler l’existence de cette maladie
Si son traitement psychostimulant aide Angélique à combattre sa somnolence, son état ne lui permet pas de travailler dans des conditions classiques – « je suis contrainte de faire des courtes siestes réparatrices car les longues nuits de sommeil n’améliorent pas la somnolence diurne, et j’ai des problèmes de concentration » . Très volontaire, la jeune femme suit actuellement des études pour être professeure des écoles. Et elle espère en parallèle renouer avec la profession d’animatrice qu’elle a exercée.
« Si ces métiers peuvent paraître fatigants, ils présentent dans mon cas un intérêt majeur : être stimulée en permanence. »
En livrant son témoignage, Angélique a souhaité participer à faire
connaître ce trouble. « Quand ça arrive, on ne comprend rien à ce qu’il se passe… Et on culpabilise beaucoup, notamment lorsque l’on est maman… » Elle veut aussi rassurer: « S’il n’y a pas de traitements curatifs, on peut contrer l’ivresse du sommeil en agissant sur le rythme de vie en particulier. ». Très investie, Angélique s’apprête à rejoindre l’association nationale qui lui a apporté un soutien précieux, ANC Narcolepsie (2) en tant que correspondante en Paca.