Nice-Matin (Cannes)

« Macho Man »

- Rédacteur en chef edito@nicematin.fr D’ERIC NERI

Dans plusieurs films des années  et , Jean-paul Belmondo caressait les tôles froissées après des poursuites échevelées et froissait les étoles de ses partenaire­s après leur avoir caressé les cheveux. Il roulait des mécaniques et à tombeau ouvert, un flingue et une femme à portée de main. Devait-on renoncer à lui rendre hommage au motif qu’il a joué les machos ?

Même si la critique est restée marginale, certaines féministes radicales ont dénoncé son côté « Bébel et tais-toi » à l’égard des femmes.

C’est oublier que ces longs-métrages, visant essentiell­ement à divertir, avaient souvent une bonne dose de second degré grâce à la plume de scénariste­s comme Michel Audiard. Un peu comme Macho Man, cette chanson des Village People où les machos ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Ces films sont surtout, comme toute création, les témoins d’une époque. Les temps ont changé. Il aura fallu attendre  pour que les femmes puissent ouvrir un compte en banque et travailler sans l’autorisati­on de leur mari. Quel chemin parcouru en  ans jusqu’au phénomène Metoo ! Même si on mesure ce qu’il reste encore à faire en matière, entre autres, d’accès à tous les métiers ou de féminicide­s. Et sans pour autant tomber dans l’excès de certaines dénonciati­ons actuelles du patriarcat, dans une perpétuell­e guerre des sexes, comme si rien ne s’était passé. Pourquoi cette pugnacité n’est-elle pas aussi marquée à l’égard de ces pays où la femme n’a guère plus de droits qu’un mineur ?

Belmondo macho, Agatha Christie usant d’un vocabulair­e inappropri­é, Autant en emporte le vent raciste... La liste est de plus en plus longue de ces oeuvres victimes de ces nouveaux censeurs, adeptes de la pression du politiquem­ent correct. Doit-on juger les créations artistique­s du passé à l’aune de nos valeurs de ce début de XXIE siècle ? À ce rythme-là, c’est un véritable autodafé qui nous attend, digne des pires dictatures. Au secours, il a déjà commencé dans une démocratie : il y a quelques jours,   livres considérés comme racistes et offensants pour les peuples autochtone­s d’amérique du Nord –dontdes Astérix et des Lucky

Luke – ont été détruits, dont certains brûlés, dans une trentaine d’écoles francophon­es de la province d’ontario, au Canada. Dans la même veine, les héritiers d’agatha Christie ont cru bon de modifier le titre du livre le plus célèbre de la reine du suspense.

Dix petits Nègres est devenu

Ils étaient dix, et l’occurrence «nègre» a été remplacée par

« soldat » dans le texte. Dans le roman, les dix petits Nègres sont assassinés les un après les autres. Dans la vraie vie, heureuseme­nt, le ridicule ne tue pas : « Nègre » ne fait pas référence à une race mais à un lieu, l’île du Nègre. Va-t-on caviarder, dans un même mouvement, les livres d’aimé Césaire ou de Léopold Sédar Senghor, chantres de la « négritude » ? Ne peut-on pas éduquer, expliquer, mettre en perspectiv­e et, s’il le faut, contextual­iser en préambule à ces oeuvres ? Plutôt que déboulonne­r les statues ou jeter les livres au bûcher dans une folie anachroniq­ue chauffée à blanc par le mouvement « Woke » importé d’outre-atlantique. Après la malbouffe, l’amérique nous gratifie à présent du fast-food de la pensée. Indigeste.

« Doit-on juger les créations artistique­s du passé à l’aune de nos valeurs de ce début de XXIE siècle ? »

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