Villeneuve : un marquis dans sa forteresse
Pour préserver son patrimoine villeneuvois, le marquis Jacques de Panisse-passis est prêt à quelques sacrifices. Dont celui de vivre en région parisienne, dans un 60 m2 qu’il loue à Neuilly.
Sept cents hectares. La quasi-totalité du foncier non bâti de Villeneuveloubet. Ou le tiers de la superficie totale de la ville. Que domine une spectaculaire forteresse médiévale, élément le plus spectaculaire du patrimoine et de la fortune du marquis Jacques de Panisse-passis, 67 ans. Homme discret, père de trois enfants, gestionnaire de portefeuilles financiers à Paris. Épris de botanique, peu soucieux de confort ou de luxe. À mille lieues des frasques estivales et du bling-bling de la Côte. Cet ascète a passé l’essentiel des confinements dans l’ancienne maison du jardinier qui jouxte son château. Et qui, elle, bénéficie d’une cuisine praticable et d’un chauffage central. La forteresse construite vers 1230 en appui d’un donjon du XIIE siècle, est dans sa famille depuis 1732. Détenue auparavant par un oncle qui, lui-même, l’avait acquise autour de 1680. Initialement confiée à Romée de Villeneuve,
cette pièce défensive avait été conçue pour protéger la partie orientale de la Provence contre des agresseurs qui, par commodité, emprunteraient la bande littorale. « Puis complétée à partir de la fin du XVE siècle par des remparts intérieurs, construits par Anne de Tende et René de Savoie, ce dernier demi-frère de la mère du roi. » François 1er y a séjourné durant un mois. Le temps de préparer la trêve de Nice, signée en 1538 avec Charles Quint. « Sur l’insistance du pape, pour que les deux beaux-frères arrêtent un peu de se taper dessus… »
, million dans les fondations
Mille deux cents mètres carrés environ. Sur trois niveaux. Des pièces étroites, quatre mètres sur trois, dimensions dictées par l’épaisseur des murailles, par les couloirs de distribution et par la portée limitée des troncs abattus sur place. Le dénivelé et le courant ne permettant pas d’exploiter les arbres, plus imposants, des reliefs de montagne. «Ladécoration est extrêmement sobre », résume le marquis de Panisse-passis : « Ce n’est pas un témoignage de réussite où l’on donne de grandes fêtes, où l’on montre ce qu’on a. Pas du tout. L’idée, c’est vraiment de se défendre contre un assaillant potentiel, en étant prêt à tout moment. » Le parc de Vaugrenier ? Une expropriation en 1962. Les Hauts de Vaugrenier ? La dernière cession de terres, par son père. Depuis 1975, plus rien, pas un mètre carré qui ait été construit. Il faut cependant de gros moyens pour faire face au coût de l’entretien. « Villeneuve-loubet est une contrepartie aux principes que je m’applique sur le plan professionnel : ici, je ne fais que dépenser », ditil, amusé. « Et cela me coûte une fortune. »
Plus d’un million d’euros sur les quatre dernières années pour injecter de la résine sous le donjon, qui commençait à s’incliner vers l’extérieur en menaçant d’arracher les murs de la forteresse. Petites tracasseries en prime. Comme ces photos des meurtrières, refusées par l’administration qui les réclamait pourtant. Au motif qu’elles étaient prises à l’aide d’un drone, procédé non prévu par la nomenclature. « On vous dira, et c’est vrai, que les gens qui ont la chance d’avoir une propriété inscrite ou classée sont aidés. Il faut préciser que les entreprises préconisées sont largement plus chères, et que cette participation n’est pas sonnante et trébuchante. On vous permet de déduire ces charges des revenus. Le problème, c’est d’avoir déjà des revenus ! »
« Son temps, son énergie, son argent »
D’autres frais, non compensés, lui sont régulièrement imputés. « Les gens qui viennent vider leurs poubelles, leur vieille bagnole ou leur frigo dans le fossé, et la mairie qui, ensuite, vous envoie du papier bleu pour vous enjoindre d’éliminer tous ces déchets. » Le vandalisme aussi, ou les vols. Trois camions interceptés avec des lentisques qui devaient être revendus en Italie. Des feux, des rodéos en 4x4 ou à moto, et l’entretien des cours d’eau pour éviter des crues. 18 000 euros, cette année, pour curer sur 800 m le lit d’un ruisseau, le Mardaric. Mais des joies. « Comme toute passion, quelque chose vous porte qui n’est pas très raisonnable. Quelque chose d’injustifiable, qui fait aussi que l’on y est attaché. Attaché aussi parce que l’on a beaucoup donné. Son temps, son énergie et son argent. Quand on n’a pas une surface financière illimitée, il faut prendre des décisions. Ce que j’ai fait. Je loue soixante mètres carrés à Neuilly. Entre m’offrir un bel appartement à Paris et remonter un mur de maçonnerie, j’ai choisi. »