Nice-Matin (Cannes)

« Ici, les morts ne sont pas anonymes »

-

Après la tempête, le psychologu­e Jean-michel Diesnis a été missionné par le Départemen­t pour épauler les sinistrés de la Roya.

En quoi consistait votre mission, dans la cellule de crise ?

Le psychologu­e intervient pour autre chose que les réponses techniques, sur les indemnités par exemple. Il intervient sur l’humain, alors que les gens ne venaient pas du tout pour ça au départ. Et ils finissaien­t par te dire:«çanevapasd­utout».

Quels sont les maux les plus fréquents ?

Dans l’urgence, c’était l’enfermemen­t, l’enclavemen­t. Surtout là-haut. On était coincés. Aujourd’hui encore, il y a l’eau, la pluie. Il y a des traumatism­es sur le fait qu’il va pleuvoir. D’autres ont peur que la montagne tombe. Cette belle nature qui nous entoure est devenue menaçante. Pour d’autres encore, c’est le manque d’écoute, l’absence de réponse. Chacun est unique et réagit en fonction de son histoire personnell­e.

Certains ont été endeuillés par la tempête…

Oui, mais ce n’est pas un traumatism­e au sens collectif. Contrairem­ent à l’enclavemen­t, l’absence de commerces, les fermetures d’école. Ou encore les sépultures disparues. Les gens en parlent et il n’y a pas eu de travail d’accompagne­ment à ce sujet.

Comment les gens y font face ?

Ça réveille le deuil, bien sûr, et une histoire familiale. Encore une fois, chacun réagit différemme­nt. On se souvient à nouveau de la grand-mère maltraitan­te, certains cherchent au contraire à faire des recherches généalogiq­ues… Une patiente ne veut plus s’occuper de son jardin parce qu’il y a des ossements… Dans les villages, c’est un point sensible. Ici, les morts ne sont pas anonymes. Un enterremen­t, ça fait partie de l’histoire d’un village. Par exemple, le berger mort devient d’un coup un héros.

Comment rebondir ?

Pour moi, la tempête doit réunir tout le monde. Il faudrait faire un mausolée pour cela. Mais ce n’est pas encore fait. Il est question de faire des analyses ADN, j’ai trouvé ça presque cruel. Ça rajoute de l’angoisse, même si ça peut être légitime. Globalemen­t, chacun rebondit à sa manière. Certains vont se consacrer à leur jardin. D’autres vont se dire que c’est l’occasion d’avoir un rêve collectif, dans toute la vallée. Participer à la reconstruc­tion, je le vois comme une chance inouïe. Il y a encore beaucoup d’actions positives, de solidarité. C’est une bouffée d’oxygène pour plein de gens.

Newspapers in French

Newspapers from France