« Le Grêlé » : ans de traque qui ont changé la justice
Les décennies passées à rechercher un tueur et violeur en série, finalement identifié comme François Vérove, ont mobilisé de nouvelles méthodes et ouvert la voie à d’autres traques.
C’était le spectre du 36, quai des Orfèvres. Une obsession et un défi transmis sur des générations d’enquêteurs et de magistrats. Cette quête s’est achevée jeudi, avec une expertise génétique. L’examen a formellement identifié François Vérove, un ancien gendarme et policier de 59 ans qui s’est suicidé le 29 septembre au Grau-du-roi (Gard), comme l’auteur de quatre homicides atroces et de plusieurs viols commis de 1986 à 1994. La hiérarchie judiciaire vit cet aboutissement comme un immense soulagement, voire une fierté.
Quand tout commence, dans l’est parisien, le 5 mai 1986 au petit matin, la police et la justice française sont encore dans la préhistoire. On travaille sur les empreintes digitales, le porte-à-porte, les portraits-robots, avec de poussiéreux fichiers non centralisés nationalement. Un homme a violé, poignardé et étranglé Cécile Bloch, une fillette de 11 ans emmenée au sous-sol de son immeuble alors qu’elle partait seule à l’école. L’enquête montre que l’auteur a froidement préparé le crime en se ménageant les accès.
Le demi-frère aîné de Cécile, Luc Richard, a croisé ce matin-là le tueur. Il se rappellera toute sa vie des mots échangés. « Il m’a parlé de manière très audacieuse, très polie, trop. Il m’a dit quelque chose comme : “Passez une très, très bonne journée” », se rappelait-il en 2015. Il apparaît immédiatement qu’un mois auparavant, une autre fillette de huit ans, Sarah, a été laissée pour morte après avoir été violée dans des circonstances identiques, dans un quartier très proche.
Le début des expertises ADN
À l’époque, la notion de crimes en série apparaît à Paris comme un phénomène américain. Il n’existe pas de fichier national ni de méthodes destinées à identifier des séries criminelles. L’expertise ADN, qui fait alors de timides débuts au Royaume-uni, est inconnue en France. Luc Richard, étudiant en biologie, a beau suggérer d’y avoir recours, il n’est pas entendu.
La brigade criminelle établit cependant un portrait-robot de l’auteur. Celui-ci montre un homme de 20 à 30 ans au visage grêlé, conséquence d’une acné ou d’une affection dermatologique, ce qui donnera le surnom de « tueur au visage grêlé », puis « le Grêlé ». Faute de pistes, un non-lieu est rendu en 1992. Les années passent mais au « 36 », un enquêteur garde le dossier en mains propres durant des années, et le transmettra à ses successeurs. « C’était le principal échec du service. La Crim’ était hantée, taraudée par cette affaire », se souvient la journaliste Patricia Tourancheau, qui a suivi l’unité pendant toute cette période.
Tout suspect « plausible » arrêté pour autres motifs est interrogé, son passé vérifié. En 1996, l’usage de L’ADN se développe en France, et une nouvelle juge a l’idée de le rechercher dans les pièces à conviction de l’affaire, ce qui fournira l’empreinte génétique du tueur. Des comparaisons « sauvages » (il n’y a pas encore de fichier) montrent alors que « le Grêlé » est l’auteur de plusieurs viols, notamment celui d’une fillette de onze ans commis après un enlèvement en forêt en juin 1994, à Mitry (Seineet-marne). Le dossier Cécile Bloch est rouvert.
Lors de ces viols, « le Grêlé » s’est à chaque fois fait passer pour un policier, exhibant une carte tricolore, des menottes. Pour mettre en confiance ses victimes, il parle le jargon policier. Serait-il policier ou gendarme ? Cette hypothèse restera vaguement taboue.
Cibler les policiers et gendarmes, la fin d’un tabou
Les enquêteurs remuent pourtant ciel et terre. Ainsi, les propriétaires de plus de 10 000 véhicules Volvo du type de celui qui a servi à l’enlèvement de Mitry sont passés au crible au fil des ans, sans succès. En 2001, le Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG, créé entre-temps en 1998), où est versée l’empreinte du « Grêlé », montre que le 29 avril 1987, il a commis un autre double crime à Paris. L’homme a tué chez eux, après les avoir affreusement torturés, Gilles Politi, un homme de 38 ans, et sa fille au pair allemande, Irmgard Müller, dont « le Grêlé » était manifestement l’amant.
Le dossier, également refermé judiciairement à ce moment, est alors rouvert. On passe au crible les cas des policiers ou gendarmes déjà condamnés pour abus sexuels, sans succès. Tous les tueurs en série arrêtés ou déjà incarcérés, comme Michel Fourniret, sont aussi comparés génétiquement. Les juges d’instruction, qui se succèdent, essaient tout. Au début des années 2010, est tentée dans le fichier génétique une recherche par « parentèle », une nouvelle technique qui consiste à rechercher, faute de correspondance directe, des membres même éloignés de la famille du tueur. Nouvel échec.
En 2014, la juge d’instruction Nathalie Turquey reprend le dossier et ose mettre les pieds dans le plat. Elle cible la gendarmerie, car pense-t-elle, c’est le corps de rattachement possible du tueur du fait de la localisation de l’affaire de Mitry, en 1994, près d’un centre d’entraînement. Elle fait recenser pas moins de 750 gendarmes présents à Paris à la période des faits, puis les fait convoquer un par un pour une expertise génétique comparative.
Il devait se présenter à la justice fin septembre
C’est ce colossal travail qui a porté ses fruits quand François Vérove, convoqué le 24 septembre pour une audition le 29, a quitté son domicile familial de La Grande-motte (Hérault) le 27 septembre, loué un logement au Grau-du-roi où, manifestement dans l’angoisse d’être confondu, il s’est ensuite donné la mort.
Même sans procès, ce dossier historique et ses milliers de procès-verbaux ouvrent la voie à d’autres traques. Le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » voté dernièrement prévoit en effet la création d’un pôle d’instruction spécialisé à Paris sur les affaires anciennes jamais résolues. Les décrets d’application restent à signer. Didier Seban, avocat spécialisé dans ces cas, voit enfin s’ouvrir de nouvelles perspectives : «Ilyades milliers de “cold cases”, d’homicides non résolus. Et forcément, beaucoup de criminels de ce genre à rechercher. » François Vérove, lui, a fini par être retrouvé.