Nice-Matin (Cannes)

Solidaires sans frontières

Pendant deux jours, à l’initiative du Secours populaire 06, quatre-vingt Azuréens et Varois ont prêté main-forte aux habitants de Trooz, en Belgique, également frappés par des inondation­s.

- EN BELGIQUE, STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Au 12, il faut enlever du plâtre. Au 34, il faut déplafonne­r, de l’autre côté, rue du pont, il faut que vous y alliez au moins à quatre. Et là-bas, c’est le jardin qu’il faut remettre en état. Allez, on s’équipe, Il y a du taf, n’oubliez pas vos masques, tiens, toi, prends une brouette », lance Agnès, surmotivée. C’est la coordinatr­ice des Week-ends solidaires, cette associatio­n née à l’initiative de Gil Marsala, quelque temps après le passage de la tempête Alex sur les vallées azuréennes. En presque un an, tous les samedis, ces valeureux ont réalisé plus d’une soixantain­e de chantiers sans jamais faiblir. Ni rien attendre en retour. « Le sourire et la joie des gens, ça nous suffit, c’est le plus beau des remercieme­nts », assure la douce Émilie, une « Wes », comme ils s’appellent, l’acronyme de Week-ends solidaires.

« La même souffrance que dans nos vallées »

« Wes un jour, Wes toujours », hurlent les bénévoles que rien n’arrête. Même pas les 17 heures de bus qu’ils ont dû avaler pour atteindre la petite commune belge de Trooz en Wallonie qui a tant souffert lorsque la Vesdre est sortie de son lit, sans prévenir, entrant dans les maisons, emportant tout sur son passage et traumatisa­nt les habitants.

« Ici, ils ont la même souffrance que dans nos vallées, on sait leur douleur. On connaît leur impression que rien ne sera jamais comme avant », grimace Eugénie, une Wes, l’une des rigolotes de la bande de copains et copines. « On est devenu une famille avec le temps », se réjouit Sophie, la force tranquille.

Sur la place du quartier de La Brouck, près de l’antenne de la Croix-rouge belge et à côté de la tente des militaires, Agnès ne quitte pas des yeux son ordinateur, son cahier et son talkie-walkie, un stylo, en main, un outil dans l’autre. C’est Shiva. Elle a l’habitude.

Une tonne de matériel

« C’est une machine de guerre, un ordinateur, au départ je trouvais qu’elle était rude, mais elle a un coeur d’or et une empathie hors du commun », sourit Christophe qui fait les déplacemen­ts avec sa fille, Alicia, 21 ans, une Wes elle aussi. Par terre, étalé sur la place de cette ancienne cité ouvrière, tout leur matériel. «On est venu avec une tonne cette fois. Pour les travaux à Castérino, on avait environ 700 kilos de matériel », détaille Agnès.

Sur l’artère principale, dans presque chaque petite maison en brique rouge foncé, une équipe est à l’oeuvre. Au 48 de la rue Brouck Cité, Sabrina et ses deux enfants ont dû partir vivre ailleurs, tant les dégâts sont importants. « On est tellement contents qu’ils soient là pour nous aider », lance la mère de famille qui regarde, admirative, cette armée de petites mains courageuse­s. « Je n’en reviens pas de leur efficacité. Vous savez, l’eau est montée à trois mètres chez moi. J’ai eu la peur de ma vie. » Au 48, Helena, 86 ans, accueille les bénévoles avec un immense sourire, mais les yeux embués. « J’ai passé deux jours dans ma chambre en haut avant d’être secourue, l’eau s’est arrêtée à trois marches. Mais je suis forte, je vais m’en sortir. Et regardezle­s : en trois heures ils ont fait plus que tout le monde en presque deux mois », hurle la petite dame pour couvrir le bruit des ponceuses. « Sortez, ne restez pas là, il y a trop de poussière », la cajole Benjamin, un jeune Wes.

« Une aventure humaine »

« C’est magnifique de voir des Français nous venir en aide », lâche, de son côté, Herminia, 73 ans qui regarde tendrement Anas, bénévole du Secours populaire, s’affairer dans sa maison. «Çafaitdu bien ! Vous ne pouvez pas vous imaginer », glisse-t-elle encore, assise sur son perron.

À midi, habitants et bénévoles se retrouvent sur la place, ou sous la tente installée par les militaires, ce sont eux qui servent les repas. La plupart des habitants n’ont plus de cuisine. « On a mis un temps fou à avoir même de l’eau. Au départ on devait aller se doucher au gymnase. Mais l’eau était impropre, on a eu des problèmes de peau », explique Mireille, dont la maison a déjà été remise en état. Plus loin, c’est Hugo, qui regarde les bénévoles suer sang et eau. «Je n’en reviens pas de les voir tous mettre tant de coeur pour nous aider. Ça donne envie de pleurer. Croyez-moi si un jour on doit venir en France pour vous aider, je serais le premier à partir », jure le quadragéna­ire, père de famille. Déblayer, abattre, poncer, remettre en état, c’est aussi le boulot des deux autres associatio­ns qui ont fait le déplacemen­t. Les « rouges », d’aide aux sinistrés, et les « bleus » de Mission trekkeurs, l’associatio­n de Martial, un pompier du Var. Les « bleus », des amoureux de la montagne. Et des humains. Eux aussi, ont fait de leur temps libre et de leur endurance, une force. « C’est une formidable aventure solidaire et humaine. Quel bonheur de rendre le sourire à des gens. Et toutes ces rencontres sont tellement enrichissa­ntes », s’enthousias­me Martial.

« Merci pour ce que vous avez fait »

Au 108 de la rue La Brouck Cité, vit Pietro. Son garage a pris les flots de La Vesdre de plein fouet. Toute sa vie détrempée. Ses souvenirs, balayés. Mais il garde la pêche et accueille les bénévoles, avec une tchatche toute méditerran­éenne, ses origines italiennes. « Il est tellement mignon et gentil, et il a besoin de parler. On sert à ça aussi », murmure Ghislaine, une Wes, directrice d’école dans la vie. Elle a fait le voyage avec son fils, 19 ans, le plus jeune de l’aventure. Non loin de lui, c’est Roland qui s’acharne sur un mur, c’est lui le plus âgé, 70 ans. Pietro est intarissab­le sur l’histoire de La Brouck.

Les vagues de migration successive­s, la belle vie, alors que l’usine de métallurgi­e fonctionna­it encore. Pietro prend dans ses bras l’équipe de Wes qui a oeuvré chez lui, ému aux larmes. Dans ses mains, un sac de chocolat belge : « Merci pour ce que vous avez fait pour moi. Et pour nous ».

 ?? (Photo S.G.) ?? Les bénévoles des Week-ends solidaires, qui se sont mobilisés pour les vallées sinistrées, sont allés donner un coup de main en Wallonie.
(Photo S.G.) Les bénévoles des Week-ends solidaires, qui se sont mobilisés pour les vallées sinistrées, sont allés donner un coup de main en Wallonie.

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