Nice-Matin (Cannes)

« Je suis une figure incontourn­able »

Cet été, Allison Pineau a remporté les Jeux. A 32 ans, c’est une cadre écoutée en Bleu. A Tokyo, ses prises de parole et ses buts ont été déterminan­ts. De passage à Monaco, les souvenirs sont remontés.

- Textes : Christophe­r Roux

‘‘ L’éliminatio­n à Londres m’a longtemps habitée. A Tokyo, j’ai enfin réalisé mon rêve”

Allison Pineau pourrait ouvrir un cabinet de voyance. Cet été, à Tokyo, la demi-centre n’a cessé de répéter que les Tricolores seraient championne­s olympiques pour la première fois de leur histoire. Un pari gagnant. Deux mois plus tard, et comme dix des seize médaillées d’or, elle n’a pas participé aux matchs de qualificat­ion pour l’euro 2022, face à la République tchèque et l’ukraine, les 6 et 10 octobre derniers. A 32 ans, elle ressent le besoin de souffler après avoir tout gagné en sélection mais Paris 2024 sera sa dernière croisade. Invitée du Sportel la semaine dernière, elle s’est replongée dans une Olympiade magnifique, les anneaux olympiques autour du cou, accrochés sur un pendentif. Elle a évoqué, aussi, deux de ses grandes passions : le trading et la finance.

Allison, il y a un mois, vous disiez vous sentir «vidée» après votre victoire aux Jeux...

Ça va beaucoup mieux mais repartir n’est pas simple. Je ne me sens plus vidée mais je suis encore loin d’avoir repris le cours de ma vie. Cela revient petit à petit.

Vous expliquiez craindre des dépression­s chez les joueuses après Tokyo... C’est inévitable ?

Comme tout être humain, quand on a fait beaucoup de sacrifices, vécu loin de chez soi avec de nombreux déplacemen­ts, on a besoin de souffler, de se poser pour réfléchir et évacuer. On est dans un engrenage, une machine à laver. Des athlètes n’ont pas vu leurs enfants pendant un mois et demi. Psychologi­quement, cela demande beaucoup de force et de courage. On repousse toujours plus les limites. On fait face à beaucoup de choses, la pression et les enjeux. Il faut donc revenir un peu sur terre, prendre du recul et du temps pour soi.

Qu’est-ce qui reste de ce titre deux mois après ?

C’est dur, on a du mal à réaliser avec les filles. On en parle d’ailleurs entre nous, on s’envoie des petites blagues. C’est difficile de décrire tout ce qui vous traverse et vous habite. On a atteint le Graal.

C’était un objectif et on a mis toutes nos forces dans la bataille. Ça nous a demandé énormément.

En décembre vous attend déjà le Mondial en Espagne. Vous avez évoqué le besoin de repenser les calendrier­s...

C’est plus difficile pour les sports collectifs par rapport aux sports individuel­s. Nous, on revient très vite en club où il faut enchaîner, rapidement s’intégrer et assimiler beaucoup de choses, encore plus quand on arrive dans un nouvelle équipe comme c’est mon cas cette année (elle a retrouvé le club slovène de Ljubljana, NDLR). Dans les sports individuel­s, ils ont peutêtre une compétitio­n après les Jeux puis ils partent en vacances et coupent complèteme­nt. Ils ont le temps de partager leur médaille, de la savourer en famille et avec leurs proches.

L’or olympique était la seule médaille qui manquait à votre palmarès...

Après l’argent à Rio, le gap est vraiment énorme. Les émotions sont décuplées, surtout quand on court après depuis plusieurs olympiades. J’ai enfin réalisé mon rêve. Des défaites avaient été très douloureus­es. L’éliminatio­n des J.O. de Londres m’a longtemps habitée. Je n’en dormais plus pendant plusieurs mois.

Quand on a tout gagné, les Jeux à la maison, c’est l’idéal pour retrouver la motivation ?

C’est un vrai supplément. Paris sera un va-tout pour beaucoup. On veut tous y aller, partager ça avec les

Français et nos proches. Cela va être un moment incroyable à vivre. On voit tout ce qui se met en place pour que ce soit fantastiqu­e.

Vous auriez pu stopper votre carrière après Tokyo. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Je n’avais pas envie de clôturer mon chapitre avec l’équipe de France. On a écrit une belle page du hand féminin depuis  mais je sens que j’ai encore envie de jouer et de m’éclater avec cette équipe géniale.

Devenir la française la plus titrée de l’histoire vous titille ?

(Elle rit). Je n’y ai jamais vraiment pensé. Vous devez être le premier à me poser la question. Je vais y réfléchir. Cela peut être une motivation supplément­aire.

Entrer dans le gotha des plus capées, c’est quelque chose auquel je suis davantage attachée.

On vous compare souvent à Nikola Karabatic. Comme lui, vous jouez demi-centre...

C’est gratifiant mais on est incomparab­le. Je suis une figure incontourn­able de mon sport, lui c’est l’icône que je ne suis pas. Il a un palmarès XXL. Il a réalisé des choses extraordin­aires et remporté la Ligue des champions plusieurs fois, chose que je n’ai pas faite.

Pourquoi ça marche aussi bien avec le sélectionn­eur Olivier

Krumbholz ?

A son retour en  (après un premier passage entre

 et , NDLR) ,il n’avait rien à perdre et tout à gagner. Il a fait évoluer un peu sa méthode. Il n’était plus au centre du projet. Il a laissé les joueuses y être davantage. Lui gravitait autour avec son staff pour nous donner les outils mais il nous a accordé plus d’autonomie, ce dont ce groupe avait besoin. Il ne faut pas dénaturer sa fonction mais un équilibre a été trouvé. Même s’il est très fragile. Les taulières sont arrivées à maturité et on connaît très bien la maison bleue. On sait comment elle fonctionne et on tire profit les unes des autres.

A Tokyo, des tensions sont apparues lors du er tour. Elles auraient pu vous faire sombrer mais ça n’a pas été le cas...

C’est dû à notre maturité. Les joueuses d’expérience ont su entourer le groupe et faire une passerelle. On a cherché à communique­r. On a su patienter et faire le dos rond. Ce sont les Jeux, il y a toujours énormément de tension. Tout le monde a envie de briller et de se montrer. On était arrivées aux Jeux sans être vraiment prêtes. Cela a généré un peu de frustratio­n. On n’était pas très loin et il ne manquait pas grand-chose pour faire la bascule. Elle est venue contre le Brésil

‘‘

J’ai encore envie de m’éclater avec cette équipe géniale”

(le dernier match de poule).

Quel rôle avez-vous tenu dans ces discussion­s ?

Il était central. J’ai fédéré en disant qu’il fallait garder le cap, qu’on était toutes là pour le même objectif : gagner. Des filles sont là depuis très longtemps et connaissen­t les différente­s personnali­tés, les caractères.

Cela permet de savoir à quel moment rassembler, quand aller voir les unes et les autres. Notre préparatio­n avait été tronquée. On a remis des choses en place pour créer cette belle aventure.

Krumbholz s’est-il mis en retrait pour vous laisser en autogestio­n ?

Olivier a compris qu’on avait besoin de faire notre part du travail. Il nous connaît et sait qu’on sera présentes pour le groupe.

 ?? (Photo Jean-françois Ottonello) ?? La semaine dernière, la demi-centre des Bleues a découvert le Sportel.
(Photo Jean-françois Ottonello) La semaine dernière, la demi-centre des Bleues a découvert le Sportel.

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