Pr Delfraissy : « Ma parole a toujours été libre »
L’immunologiste Jean-françois Delfraissy, qui a présidé le Conseil scientifique, revient sur la gestion de la pandémie et raconte ses nouveaux défis en matière de fin de vie. Entretien.
« J’en ai pris plein la gueule ces derniers mois, mais je n’y ai pas vraiment prêté attention, confie Jean-françois Delfraissy, à peine sorti de scène. L’important, c’était l’atterrissage. On s’en sort mieux que les Allemands. » Invité vedette de La Revue Politique et Parlementaire, l’ancien président du Conseil scientifique, revenu à la tête du Comité consultatif national d’éthique, était venu débattre hier à Saint-raphaël sur un thème qui pourrait figurer au Bac : « La liberté en danger. »
Vous sentez-vous plus libre aujourd’hui que pendant votre présidence du Conseil scientifique ?
Quand on est chargé d’éclairer le gouvernement sur des choix aussi difficiles, on est soi-même en tension. On essaye d’avoir le maximum d’informations au niveau mondial. Je n’ai plus cette pression. J’ai surtout plus de temps.
Votre parole est-elle également plus libre ?
Ma parole a toujours été libre. Lors de mes interventions publiques, j’ai essayé de dire tout ce que je savais, mais aussi tout ce qu’on ne savait pas. J’ai considéré qu’un Conseil scientifique de ce type devait avoir une forme de liberté par rapport aux autorités politiques, même si ce sont elles qui décident au final. Chacun son rôle. Dans l’immense majorité des cas, les autorités sanitaires ont plutôt suivi ce que nous recommandions. D’autres fois, non. C’est normal. Une crise sanitaire, c’est aussi une crise sociétale et économique.
Avec le recul, quels enseignements retenez-vous de cette période ?
C’était une période extraordinaire. C’est la plus grande pandémie qui a essentiellement touché les pays les plus riches, les plus civilisés et les populations les plus anciennes. Cela contraste avec les pandémies dont j’ai pu m’occuper avant comme le sida et Ebola, qui touchaient des régions du monde plus pauvres et des populations plus jeunes. Mais comme toutes les grandes crises, on a démarré par une grande période d’incertitudes. Ça pose la question de comment être expert pour conseiller les autorités alors que la science est très fragile.
Dans son livre, l’ex-ministre de la Santé Olivier Véran reconnaît une erreur collective sur le port du masque en début de pandémie. Prenez-vous votre part de responsabilité ?
Je n’ai pas eu le temps de lire son livre. Il y a eu des erreurs des politiques, comme des scientifiques. Il faut beaucoup d’humilité. On doit aussi faire attention à la temporalité. On refait l’histoire aujourd’hui, deux ans et demi après le début de la pandémie. Concernant les masques, le Conseil scientifique a pris une position claire. Compte tenu de leur nombre limité, il fallait les réserver aux personnels de santé pour ne pas qu’ils contaminent d’autres patients.
Vous avez confié avoir eu « des regrets » sur la gestion de la pandémie…
Au moment du premier déconfinement, en juin 2020, on a peut-être fait passer la santé avant l’humanité au sein des Ehpad. On aurait probablement pu être un peu plus souple pour éviter l’isolement et les syndromes de glissement. Certaines mesures ont pu accélérer des décès. C’est le système tout entier qui a permis ça. D’un autre côté, sans confinement très strict, nous n’aurions pas eu 38 000 décès, mais 150 000 à 200 000 entre mars et mi-avril 2020. Avec des personnes qui n’auraient pas pu être prises aux urgences.
Olivier Véran a parlé de Didier Raoult comme d’« un Macgyver déguisé en chaman ». Vous utiliseriez les mêmes mots ?
Je n’ai aucun commentaire sur ce sujet.
Le sujet Raoult est-il tabou ?
Je n’ai aucun commentaire sur ce sujet.
En avez-vous davantage sur les « experts », plus ou moins crédibles, qui ont défilé sur les plateaux télé…
On a vu des soi-disant experts scientifiques, oui. On a également assisté à la création des débats, avec des disputes pour créer de l’audience. Pour des questions de business. Ce qui n’était pas rassurant. J’ai d’ailleurs soulevé le problème auprès du président du CSA (devenu l’arcom, N.D.L.R.) et des directeurs des chaînes. C’est un sujet sensible. On m’a reproché d’intervenir sur la liberté de la presse. Ce n’est pas mon intention. En revanche, on peut s’interroger, de la même façon qu’il y a une éthique en médecine, si certaines limites éthiques n’ont pas été dépassées par les grands groupes de presse.
Comme on doit s’interroger sur la gestion des réseaux sociaux pendant la crise.
Cnews a particulièrement été pointée du doigt…
Ce n’est pas à moi de donner des bons ou des mauvais points.
Et vous, comment avez-vous vécu votre exposition médiatique ?
Je suis resté exactement le même. Je ne suis qu’un médecin à qui on a confié des responsabilités. Depuis le début, ma seule préoccupation, c’était de rendre service à nos concitoyens. On va vite m’oublier.
À votre tour, songez-vous écrire un livre sur la pandémie ?
Compte tenu de la floraison d’ouvrages sur le Covid, je crois qu’il devient élégant de s’abstenir (rires). J’ai d’ailleurs un devoir de réserve sur un certain nombre de points. Et puis, il est beaucoup trop tôt pour faire un retour d’expérience. La pandémie n’est pas terminée. Nous rentrons dans une huitième vague. On sait mieux la gérer mais nous ne savons pas quels variants pourraient arriver.
Faut-il s’inquiéter ?
On ne peut pas exclure une nouvelle forme plus sévère qui se transmet aussi vite qu’omicron. Ce qui nous amènerait à nous poser de nouvelles questions.
Votre retour au Conseil national d’éthique est marqué par des questionnements sur la fin de vie…
Est-ce que la loi Claeys-leonetti qui régit la fin de vie en France est suffisante ? Est-elle suffisamment connue ? Suffisamment appliquée ? Ou faut-il, dans certaines circonstances rares, aller un peu plus loin ? Pour y réfléchir, on a souhaité un grand débat national. Il est en train de se mettre en place.
Line Renaud, marraine de l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), souhaite « rapidement une loi euthanasie »...
Avant d’envisager une loi sur un sujet aussi difficile, aussi complexe, qui touche à l’intimité, à notre humanité profonde, profitons d’un grand débat national avec de la discussion et de l’information. C’est ce qu’on met en place pendant les six prochains mois partout en France, y compris en Paca.