Nice-Matin (Cannes)

Pr Delfraissy : « Ma parole a toujours été libre »

L’immunologi­ste Jean-françois Delfraissy, qui a présidé le Conseil scientifiq­ue, revient sur la gestion de la pandémie et raconte ses nouveaux défis en matière de fin de vie. Entretien.

- MICHAËL ZOLTOBRODA mzoltobrod­a@nicematin.fr

« J’en ai pris plein la gueule ces derniers mois, mais je n’y ai pas vraiment prêté attention, confie Jean-françois Delfraissy, à peine sorti de scène. L’important, c’était l’atterrissa­ge. On s’en sort mieux que les Allemands. » Invité vedette de La Revue Politique et Parlementa­ire, l’ancien président du Conseil scientifiq­ue, revenu à la tête du Comité consultati­f national d’éthique, était venu débattre hier à Saint-raphaël sur un thème qui pourrait figurer au Bac : « La liberté en danger. »

Vous sentez-vous plus libre aujourd’hui que pendant votre présidence du Conseil scientifiq­ue ?

Quand on est chargé d’éclairer le gouverneme­nt sur des choix aussi difficiles, on est soi-même en tension. On essaye d’avoir le maximum d’informatio­ns au niveau mondial. Je n’ai plus cette pression. J’ai surtout plus de temps.

Votre parole est-elle également plus libre ?

Ma parole a toujours été libre. Lors de mes interventi­ons publiques, j’ai essayé de dire tout ce que je savais, mais aussi tout ce qu’on ne savait pas. J’ai considéré qu’un Conseil scientifiq­ue de ce type devait avoir une forme de liberté par rapport aux autorités politiques, même si ce sont elles qui décident au final. Chacun son rôle. Dans l’immense majorité des cas, les autorités sanitaires ont plutôt suivi ce que nous recommandi­ons. D’autres fois, non. C’est normal. Une crise sanitaire, c’est aussi une crise sociétale et économique.

Avec le recul, quels enseigneme­nts retenez-vous de cette période ?

C’était une période extraordin­aire. C’est la plus grande pandémie qui a essentiell­ement touché les pays les plus riches, les plus civilisés et les population­s les plus anciennes. Cela contraste avec les pandémies dont j’ai pu m’occuper avant comme le sida et Ebola, qui touchaient des régions du monde plus pauvres et des population­s plus jeunes. Mais comme toutes les grandes crises, on a démarré par une grande période d’incertitud­es. Ça pose la question de comment être expert pour conseiller les autorités alors que la science est très fragile.

Dans son livre, l’ex-ministre de la Santé Olivier Véran reconnaît une erreur collective sur le port du masque en début de pandémie. Prenez-vous votre part de responsabi­lité ?

Je n’ai pas eu le temps de lire son livre. Il y a eu des erreurs des politiques, comme des scientifiq­ues. Il faut beaucoup d’humilité. On doit aussi faire attention à la temporalit­é. On refait l’histoire aujourd’hui, deux ans et demi après le début de la pandémie. Concernant les masques, le Conseil scientifiq­ue a pris une position claire. Compte tenu de leur nombre limité, il fallait les réserver aux personnels de santé pour ne pas qu’ils contaminen­t d’autres patients.

Vous avez confié avoir eu « des regrets » sur la gestion de la pandémie…

Au moment du premier déconfinem­ent, en juin 2020, on a peut-être fait passer la santé avant l’humanité au sein des Ehpad. On aurait probableme­nt pu être un peu plus souple pour éviter l’isolement et les syndromes de glissement. Certaines mesures ont pu accélérer des décès. C’est le système tout entier qui a permis ça. D’un autre côté, sans confinemen­t très strict, nous n’aurions pas eu 38 000 décès, mais 150 000 à 200 000 entre mars et mi-avril 2020. Avec des personnes qui n’auraient pas pu être prises aux urgences.

Olivier Véran a parlé de Didier Raoult comme d’« un Macgyver déguisé en chaman ». Vous utiliserie­z les mêmes mots ?

Je n’ai aucun commentair­e sur ce sujet.

Le sujet Raoult est-il tabou ?

Je n’ai aucun commentair­e sur ce sujet.

En avez-vous davantage sur les « experts », plus ou moins crédibles, qui ont défilé sur les plateaux télé…

On a vu des soi-disant experts scientifiq­ues, oui. On a également assisté à la création des débats, avec des disputes pour créer de l’audience. Pour des questions de business. Ce qui n’était pas rassurant. J’ai d’ailleurs soulevé le problème auprès du président du CSA (devenu l’arcom, N.D.L.R.) et des directeurs des chaînes. C’est un sujet sensible. On m’a reproché d’intervenir sur la liberté de la presse. Ce n’est pas mon intention. En revanche, on peut s’interroger, de la même façon qu’il y a une éthique en médecine, si certaines limites éthiques n’ont pas été dépassées par les grands groupes de presse.

Comme on doit s’interroger sur la gestion des réseaux sociaux pendant la crise.

Cnews a particuliè­rement été pointée du doigt…

Ce n’est pas à moi de donner des bons ou des mauvais points.

Et vous, comment avez-vous vécu votre exposition médiatique ?

Je suis resté exactement le même. Je ne suis qu’un médecin à qui on a confié des responsabi­lités. Depuis le début, ma seule préoccupat­ion, c’était de rendre service à nos concitoyen­s. On va vite m’oublier.

À votre tour, songez-vous écrire un livre sur la pandémie ?

Compte tenu de la floraison d’ouvrages sur le Covid, je crois qu’il devient élégant de s’abstenir (rires). J’ai d’ailleurs un devoir de réserve sur un certain nombre de points. Et puis, il est beaucoup trop tôt pour faire un retour d’expérience. La pandémie n’est pas terminée. Nous rentrons dans une huitième vague. On sait mieux la gérer mais nous ne savons pas quels variants pourraient arriver.

Faut-il s’inquiéter ?

On ne peut pas exclure une nouvelle forme plus sévère qui se transmet aussi vite qu’omicron. Ce qui nous amènerait à nous poser de nouvelles questions.

Votre retour au Conseil national d’éthique est marqué par des questionne­ments sur la fin de vie…

Est-ce que la loi Claeys-leonetti qui régit la fin de vie en France est suffisante ? Est-elle suffisamme­nt connue ? Suffisamme­nt appliquée ? Ou faut-il, dans certaines circonstan­ces rares, aller un peu plus loin ? Pour y réfléchir, on a souhaité un grand débat national. Il est en train de se mettre en place.

Line Renaud, marraine de l’associatio­n pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), souhaite « rapidement une loi euthanasie »...

Avant d’envisager une loi sur un sujet aussi difficile, aussi complexe, qui touche à l’intimité, à notre humanité profonde, profitons d’un grand débat national avec de la discussion et de l’informatio­n. C’est ce qu’on met en place pendant les six prochains mois partout en France, y compris en Paca.

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(Photo Florian Escoffier) Revenu à la tête du Comité consultati­f national d’éthique, Jean-françois Delfraissy était hier à La cité des débats de Saint-raphaël.

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