À la recherche du Tintin perdu DÉCLARATION D’AMOUR AU 9E ART
Bien au-delà de l’hommage à Tintin et à son créateur, une épopée avec les plus grands de la BD, à travers le prisme de l’auteur brésilien Ricardo Leite qui signe là l’oeuvre d’une vie.
Alors que la date anniversaire des quarante ans de la disparition d’hergé, le 3 mars 1983, approche, les éditions Sépia poursuivent en publiant un talentueux auteur brésilien, leur travail d’exploration de l’oeuvre du maître de la ligne claire sous un angle particulier. Le road-trip mental. Un album autobiographique d’adoration qui dépasse la houppette du reporter aventurier pour embrasser le monde de la BD international.
Le pitch
Visite bruxelloise sur les pas d’hergé avec, en chemin, les digressions passionnantes d’un passionné de BD.
L’avis
« Les bandes dessinées représentent pour moi ce que les madeleines furent pour Proust. La transcendance vers un temps perdu. Plonger dans ces revues me donnait un plaisir comme je n’en ai plus jamais ressenti », signifie en préambule Ricardo Leite qui déjà tout jeune jouait du crayon tout en s’abreuvant de lectures franco-belges. Comme tous ceux qui, enfant, ont « grandi » chez leur libraire local dans une boulimie d’albums, revues et comics en tous genres, au point d’apprendre à lire avec, comment ne pas partager cet exergue ?
Dans le sillage d’un voyage à Bruxelles en 2013, sur les traces d’hergé, Ricardo Leite s’épanche sur son parcours mis en parallèle avec les auteurs qui l’ont forgé.
S’il nous perd parfois à l’évocation d’auteurs latino-américains qui ne sont pas forcément parvenus jusqu’à nos rivages, Leite s’escrime à éviter l’écueil du récit linéaire. Il casse systématiquement sa narration avec des flash-back et digressions oniriques qui le voit sombrer ou, au contraire surnager, par rapport à ses choix professionnels et ses obsessions nostalgiques de sexagénaire.
Cela donne lieu à d’insolites conversations imaginaires avec des grandes figures disparues du 9e art comme Hugo Pratt qui l’avait rembarré en 1982 lors d’une rencontre parisienne en lui assurant que ses dessins n’avaient
« pas de personnalité ».
Ce nouveau « face-à-face » permet de panser les plaies en imaginant des échanges plus apaisés autour de l’évolution de Leite qui, malin, convoque Milo Manara pour jouer les « avocats » de sa cause face à Pratt. Pour le coup, en 2023, les planches foisonnantes de Leite sont de toute beauté dans leur noir et blanc contrasté.
Les doubles de Will Eisner, Breccia, Hermann, Frank Miller, Goscinny, Uderzo, Moebius, etc., y vont également de leurs petits conseils et confidences à l’auteur brésilien qui cogite dur sur ses échecs passés.
Ses démarches de jeune auteur « enthousiaste » pour publier chez Métal Hurlant, Dargaud ou Casterman n’ont en effet pas abouti lors de son séjour français au début des années 1980... Des « temples » imprenables qui l’ont fait se détourner de la planche à dessin pour une carrière d’illustrateur et de graphiste au Brésil où il signera notamment des centaines de pochettes de disques.
Les escapades au Centre Belge de la Bande Dessinée et au Musée Hergé constituent autant de détonateurs de souvenirs pour l’auteur qui va enfin « rencontrer » Hergé imaginairement, faute d’avoir pu le faire enfant en 1971. Hergé répondant alors à son courrier pour venir le visiter en Belgique qu’il était absent et passait des vacances en Italie.
Avec cet impressionnant opus qui a pris presque dix ans de labeur, l’on comprend bien que Leite rachète tous ses errements passés en signant une oeuvre thérapeutico-introspectif. L’effet est « actif » pour tous ceux qui regrettent de voir s’éloigner chaque jour un peu plus leurs « paradis perdus ». Même si des nouveaux albums contribuent encore à faire l’effet d’une pilule magique qui ravive, de façon intermittente, la flamme.
« Les BD de mon enfance me donnaient un plaisir comme je n’en ai plus jamais eu »
Le bonus
... devient plutôt ici un « malus ».
Pas évident de « slalomer » entre les lettres d’avocat des ayants droit d’hergé toujours « chatouilleux » lorsqu’il s’agit de représenter des éléments échappés des Aventures de Tintin. Une dizaine de pages, ainsi que la couverture même (une fresque du parcours BD de Bruxelles qui normalement représente un escalier descendu par le jeune reporter, Milou et Haddock), ont ainsi été « rectifiées » façon Jivaro par l’auteur afin de « se prémunir d’éventuels désagréments d’ordre judiciaire ». Autrement dit, les images ont tout bonnement été effacées...