Berling : « La culture c’est aussi un combat »
Après les sanglants attentats du 13 novembre à Paris, le comédien estime « qu’il faut faire la guerre, mais ne faisons pas que la guerre ». Un appel à la réflexion pour éviter l’escalade
Charles Berling est un homme de son temps, un artiste accompli qui n’a pas profité du succès pour s’isoler dans sa tour d’ivoire. Né à Saint-Mandé mais Toulonnais d’adoption, il passe régulièrement du cinéma populaire (3,3 millions d’entrées pour Le Prénom) au théâtre le plus exigeant. De l’aveu de la critique parisienne, réputée pour son absence de complaisance, il excelle dans Vu du pont, la pièce d’Arthur Miller qui vient de tenir plus d’un mois l’affiche à l’Odéon. Il est aussi le codirecteur du théâtre Liberté à Toulon.
Quels sentiments provoquent en vous ces attentats ? Tellement de sentiments terribles, violents, contradictoires. D’abord une profonde tristesse et comme chez beaucoup de gens, une grande solidarité, une grande compassion.
Avez-vous des proches parmi les victimes ? Des gens que je connais ont été touchés. Même de façon indirecte, je suis surpris du nombre de personnes que je croise et qui ont un lien avec l’une des victimes, morts et blessés. Tout le monde se sent proche de ce qui s’est passé. À Paris, ce soirlà, beaucoup auraient pu prendre une balle. C’est arrivé de manière très aléatoire. Moi, je jouais au théâtre. Les terroristes auraient pu venir à l’Odéon, parce que c’est aussi un symbole de culture, de liberté de penser. Je n’ai appris ce qui s’est passé qu’à la fin du spectacle. L’Odéon nous a demandé de ne pas rester sur place.
Vous rentrez à vélo c’est un peu inconscient ? Ce n’est pas inconscient du tout. Ce terrorisme, c’est de la loterie. Je ne veux pas changer ma vie, mes habitudes, pour donner raison à des gens qui veulent imposer leur point de vue par la force, par la négation totale de l’autre. Je suis choqué, mais ce soir-là comme les autres soirs, je
prends mon vélo parce que c’est ce que je fais normalement.
Vous revenez du Maroc. La réaction est la même ? C’est un choc pour eux aussi. Le janvier, après les attentats de Charlie, j’étais aussi au Maroc, les gens étaient tout aussi bouleversés. J’ai bien sûr beaucoup de compassion pour ce qui s’est passé à Paris. J’en éprouve beaucoup de peine. C’est d’autant plus fort quand on est tout près. Mais la démocratie et la laïcité ont aussi été attaquées
dans d’autres pays de la Méditerranée. La défense de la démocratie, des valeurs de civilisation face à un totalitarisme terrible, ne se limite pas à la France intra muros. En Tunisie, je connais par exemple des femmes qui se battent, elles aussi, depuis longtemps pour l‘égalité hommes-femmes.
Cette nuit-là, par-delà les vies humaines, qu’est-ce que les terroristes visaient? Comme partout dans le monde, la musique, les grands rassemblements populaires comme le football, les cafés, les gens qui prennent du bon temps. Au-delà de la mort de ceux qu’ils ont tués, c’est une atteinte à la liberté de vivre, de penser, à la liberté de se cultiver, à l’art, à la musique, à la religion. La marque d’une sorte de nouveau fascisme.
C’étaient des jeunes qui tiraient, tuant d’autres jeunes comme si la vie n’avait aucune valeur : c’est quoi le problème ? La question est très vaste. Le problème est qu’un capitalisme mafieux règne dans le monde. Beaucoup d’argent circule. Les circuits financiers sont une autoroute. Les terroristes peuvent puiser dedans pour mener leur guerre. Face à ces gens avec qui le dialogue est plus que rompu, il y a une réponse armée, que je comprends et qui est nécessaire. Ça s’appelle la guerre. Mais il n’est pas forcément habile de faire comme les États-Unis après , de répliquer à chaud, trop rapidement. Il faut savoir faire la guerre, mais ne faisons pas que la guerre. Continuons à défendre nos valeurs de civilisation, notre culture parce que leur stratégie, c’est fomenter des guerres civiles, nous monter les uns contre les autres. Il y a un devoir profond de continuer à vivre comme des démocraties, à ne pas faire de nous des républiques guerrières à leur image. Et ce n’est pas le moment en France d’attaquer la religion musulmane qui n’a rien à voir avec ces attentats.
La culture est la solution ? Un jeune en déshérence peut se tourner vers des radicaux religieux. Il peut aussi se tourner vers l’art! Nous sommes actuellement dans une phase de sidération, de tristesse, mais il y a beaucoup de choses positives dont il faudrait parler. Parlons de ce travail extraordinaire, depuis Malraux, soutenu par de Gaulle, en faveur de la culture pour tous ! De tous ces gens merveilleux qui travaillent en France à rassembler les publics comme nous par exemple, au théâtre Liberté [à Toulon, ndlr]. Si on ne fait pas ces ponts-là, c’est la guerre. La pensée, la culture, la liberté, c’est aussi un combat.
Le Liberté que vous dirigez à Toulon est un théâtre mais pas seulement. Hubert Falco est un maire qui ne se dit pas seulement « Toulon doit grandir économiquement » mais aussi que la ville grandit parce que sa culture grandit. Il fait partie des politiques qui comprennent cet enjeu. Depuis une dizaine d’années, il y a ici un véritable renouveau au niveau de la culture. Les gens sont derrière nous, ils ont envie d’y aller. Le Liberté nous voudrions que ce ne soit pas qu’un théâtre, mais aussi un lieu où tout le monde se sente chez soi au niveau de l’art, de la pensée, de la culture.
Au sortir de cette dure séquence, restez-vous optimiste sur la capacité de notre pays à rétablir le vivre-ensemble? Oui, je reste très optimiste, parce que j’ai autour de moi, des jeunes gens de - ans, de toutes origines qui en ont fondamentalement envie. Il faut plus les écouter. C’est par notre jeunesse que l‘on pourra reconstruire ce pays. Comme disait Ferré avec la poésie. «A l’école de la poésie, on n’apprend pas, on se bat. » C’est aussi valable pour la laïcité, la civilisation, la démocratie. Je reste optimiste parce que la capacité de cette jeunesse à prendre en main son destin dans les conditions qui sont celles d’aujourd’hui, elle existe.
La laïcité attaquée dans plusieurs pays.” Une atteinte à la liberté de vivre.”