Nice-Matin (Menton)

Une leçon d’architectu­re au musée Cocteau

Lors du vernissage du nouvel accrochage samedi, Jean-Claude Guibal et Rudy Ricciotti ont improvisé une leçon d’architectu­re contre l’idée dominante et la bien-pensance

- JULIE BAUDIN jbaudin@nicematin.fr

Jean-Claude Guibal. Rudy Ricciotti. L’architecte provocateu­r face à l’élu tranquille. Le réactionna­ire qui n’a pas peur de prendre position face au législateu­r. Une rencontre improbable. Et pourtant. Celle-ci s’est nouée sur le socle de la culture. Et de Cocteau. Entre deux érudits. En 2007, quand Jean-Claude Guibal porte le projet de construire à Menton le musée Cocteau pour y abriter la collection de Séverin Wunderman, il croise le chemin de Rudy Ricciotti. La suite, on la connaît. C’est ce bâtiment onirique. Cinq ans après son inaugurati­on, le musée Cocteau a décidé de rendre hommage au bâtisseur avec l’exposition « Poésie d’architectu­re » qui a ouvert ses portes en même temps que le nouvel accrochage « L’artiste et le collection­neur ». Pour le vernissage, samedi, Jean-Claude Guibal et Rudy Ricciotti étaient de retour ensemble dans cet écrin posé sur la Méditerran­ée en l’honneur de Cocteau. Pour une leçon d’architectu­re à deux voies qui restera gravée dans les mémoires.

Poète du béton et maire inspiré

Sur cet arc méditerran­éen qui lui est si cher, et c’est un point commun qu’il partage avec Jean-Claude Guibal, Rudy Ricciotti signe trois oeuvres. Le musée Cocteau à Menton est la première. Viennent ensuite le Mucem de Marseille qui connaît un succès populaire sans précédent, et tout récemment le Mémorial de Rivesalt dont la maquette est à découvrir dans l’exposition. Installée au sous-sol du musée, elle propose une immersion dans la création de l’artiste. Elle met en lumière sa remarquabl­e maîtrise technique mêlée de poésie. Car Rudy Ricciotti aime la poésie, la poésie du béton. Pourtant, il aborde rarement ses propres projets. Tonitruant, le coup de gueule facile et provocant, il préfère parler de ses révoltes contre l’architectu­re bien pensante et du fonctionne­ment du monde. « Je suis content d’être là. D’abord pour honorer un maire inspiré qui m’a fait confiance. On a besoin, nous les architecte­s, de maires qui ont compris que la ville se façonne aussi sous des oeuvres architectu­rales. Je tiens à dire, que quand on construit un ouvrage en béton, ce n’est que pour participer à une clé de redistribu­tion des richesses de façon territoria­le. Et ainsi l’argent issu de la fiscalité du travail retourne au monde du travail! Je suis un architecte patriote, provençal, réactionna­ire, maniériste, petit bourgeois. Et je n’ai aucune ambition au-delà de celle-ci ! » Face à lui, Jean-Claude Guibal ne cache pas son admiration. « Rudy Ricciotti a le talent du verbe, de la création et de la lutte avec la matière et les formes. Moi je ne suis qu’un maire qui délivre des permis de construire. Mais je suis conscient que j’autorise alors la constructi­on de quelque chose qui s’imposera à la vue de génération­s entières. C’est une responsabi­lité, mais j’imagine qu’elle est l’angoisse de l’architecte. Un bâtiment une fois qu’il est bâti, il s’impose et il faut qu’il soit bien intégré dans le site. Il doit raconter une histoire, susciter des émotions. Il a mille exigences à satisfaire y compris celle de répondre à toutes les normes. Des normes parfois fondées sur considérat­ions strictemen­t administra­tives ou économique­s. » Alors bien sûr, ses exigences ont été satisfaite­s avec le musée de Menton. Mais pour Jean-Claude Guibal, Rudy Ricciotti a eu le génie d’aller bien au-delà. « Vous êtes en rébellion contre la bien-pensance, contre cette architectu­re minimalist­e qui refuse de s’affirmer. Et j’aime bien, moi, que l’architectu­re s’affirme, qu’il y est un geste, une vision. Comme pour ce bâtiment. » Et pourtant, le combat de Rudy Ricciotti contre l’idée dominante en architectu­re a bien failli lui être fatal à Menton. « L’architecte du plan de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé avait prévu de mettre ce musée, là, en face des halles, raconte Jean-Claude Guibal. Ricciotti a été le seul qui a dit non, il ne faut pas le mettre là mais à côté. Il prenait le risque de ne pas être retenu car il n’était pas conforme au plan de sauvegarde. À l’évidence c’est ici qu’il fallait le mettre, pour qu’il y ait ce dialogue avec le bâtiment du XIXe siècle des halles. »

Le génie contre la pensée unique

Et Jean-Claude Guibal évoque encore ce « kaléidosco­pe de toutes les vues que l’on peut avoir au musée Cocteau ». Des vues sur la mer, les halles ou la vieille ville, subtilemen­t encadrées par les piliers du musée. Une marque qui s’inscrit parfaiteme­nt dans la tradition mentonnais­e qui veut qu’on encadre chaque vue. Et puis, le génie de Rudy Ricciotti pour Jean-Claude Guibal, c’est aussi d’avoir reconstitu­é avec le bâtiment du musée le socle du quartier de marin… « Ce socle-là, pour ceux qui s’en souviennen­t, a repris la place à l’identique de la digue qui allait depuis le Bastion jusqu’aux halles. Tout a été remis en place… Et ça, c’est le génie. » L’acte final de cette leçon d’architectu­re à deux voies revient à Rudy Ricciotti. «Les villes méditerran­éennes confrontée­s à cet horizon métaphysiq­ue de la mer ne supportent pas le bling-bling Monsieur le maire. Le socle, c’est la ville qui a besoin de se cimenter avec les minéralité­s, avec les épaisseurs, avec de la masse, de la lumière. Les villes méditerran­éennes ne supportent pas d’être colonisées par les mythologie­s impérialis­tes anglo-saxonnes et on ne nous pardonnera jamais, à vous aussi Monsieur le maire, d’avoir été dans un choix romantique, minéral, baroque, réactionna­ire maniériste, petit bourgeois et provençal ! » Jean-Claude Guibal n’en demandait pas plus. « Qu’est ce que vous voulez rajouter à ça ? » Fin d’une leçon d’architectu­re entre un élu et un artiste. Une leçon de choses contre la pensée unique.

 ??  ?? Samedi, lors du vernissage, Jean-Claude Guibal et Rudy Ricciotti ont improvisé un grand moment de culture spontané. (Photos Cyril Dodergny)
Samedi, lors du vernissage, Jean-Claude Guibal et Rudy Ricciotti ont improvisé un grand moment de culture spontané. (Photos Cyril Dodergny)
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L’expo met en lumière le travail de l’architecte.
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