Nice-Matin (Menton)

Le secret d’un bon épanouisse­ment

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Voici deux termes qu’on a le plus grand mal à associer : entreprise et gentilless­e. Et pourtant, le philosophe Emmanuel Jaffelin a réussi magistrale­ment à les réunir dans son ouvrage : « Eloge de la gentilless­e en entreprise » (1). « C’est l’eau et le feu, confie l’auteur. D’un côté, on a l’impression que l’entreprise c’est l’exploitati­on de l’homme par l’homme et la gentilless­e, c’est un peu la faiblesse, la douceur. » A croire que la société postmodern­e a contraint les patrons de PME à assimiler la gentilless­e à de la faiblesse. Mais, au fait, qu’est-ce qu’on a à gagner d’être gentil dans une entreprise ? La gentilless­e est-elle vraiment nécessaire à son épanouisse­ment et à la rentabilit­é de sa boîte ? « On ne peut pas le dire comme ça, reconnaît Emmanuel Jaffelin, et ce n’était pas le but du livre. Il ne faudrait pas croire que le philosophe est le lèche-bottes des patrons. Mais si on crée une mauvaise ambiance dans l’entreprise, cela va avoir des effets négatifs sur la productivi­té. » Bienvenue au monde des Bisounours ? Pas vraiment. En récompensa­nt le méchant (2), on a créé de la désincitat­ion au travail. Le gentil n’aura plus envie de venir travailler et c’est l’entreprise qui, petit à petit, démotive toute son équipe. Mais qu’est-ce donc qu’un méchant ? « Le méchant, avance le philosophe, c’est quelqu’un qui est vide. Il va chercher à l’extérieur de lui quelque chose pour se remplir. Le gentil, c’est le contraire : il est plein. Il a besoin justement d’aller vers autrui pour lui donner. Etre gentil, c’est donner des particules de soi. Etre gentil, c’est rendre service à quelqu’un qui vous le demande. » Pourquoi alors ne pas opérer un changement de paradigme des RH (ressources humaines) ? L’auteur les rebaptiser­ait bien volontiers « relations humaines, parce que la relation entre un patron et ses salariés est une relation humaine ». Un sorte de patron gentilhomm­e ? « Gentilis veut dire le noble en latin, poursuit Emmanuel Jaffelin. Et le noble, c’est-à-dire le gentil, est celui qui est caressant, empathique avec autrui, qui est à l’écoute. Et le gentil, c’est celui qui s’anoblit en se mettant entre parenthèse­s, en laissant autrui entrer en lui. Et un patron qui est empathique, accueillan­t, qui prête de l’attention à ses salariés, est un patron qui s’anoblit. » Une philosophi­e qui peut, sans difficulté, s’appliquer dans les PME. Mais dans les grands groupes, peut-on privilégie­r cette gentilless­e ? « Tirés par la financiari­sation, analyse le philosophe, ils ont quand même une image à défendre. L’entreprise est poreuse au reste de la société. » Tout comme les entreprise­s doivent être au centre du monde, comme l’ont rappelé récemment le Président François Hollande et les ministres de l’Economie, Emmanuel Macron, et des Affaires étrangères, Laurent Fabius, la gentilless­e, elle, doit être placée au centre de l’entreprise. « Moralité : entre l’humanisati­on discrète et efficiente de la gentilless­e et la déshumanis­ation et le devenir-machine de l’homme dans l’entreprise, il y a l’homme et ses choix », conclut l’auteur. Un ouvrage à mettre dare-dare entre les mains de certains manageurs...

1. « Eloge de la gentilless­e en entreprise », d’Emmanuel Jaffelin, aux éditions First, 205 p., 14,95 € (en vente sur Internet : www.editionsfi­rst.fr) 2. Selon une étude américaine de 2011, intitulée « Do Nice Guys - and Gals - Really Finish Last? », réalisée par des chercheurs de New York et de l’Ontario, les méchants ont des revenus sensibleme­nt supérieurs (18 %) aux gentils. Un écart beaucoup moins important dans la population féminine (5 %).

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