Nice-Matin (Menton)

Arrêt Notre-Dame

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Les Uber n’existaient pas. Le tramway non plus. On prenait le . Il était souvent plein comme un oeuf. Quand il freinait, tout le monde passait par-dessus bord.

Vert mais pas écolo, le  sentait le tabac et la transpirat­ion. Pas grave : le bus, c’était le début de l’aventure. La ruée vers la ville. À cette époque, ce n’est pas la vie qui s’arrêtait à Notre-Dame, c’était le car. On descendait là. Devant l’église, dans ce quartier niçois ouvert sur le monde et ses religions. Restaurant­s chinois, boucheries casher, épiceries arabes, snacks grecs : le voyage ne demandait pas de passeport. Ni de bombe anti-agression. On arrivait avec un petit creux et repartait avec un gros ventre. Il ne fallait pas être au régime. Rue de Paris, une pâtisserie orientale faisait des baklavas à tomber et des beignets fabuleux. Elle est toujours ouverte. Les gâteaux sont-ils aussi bons ? À côté de l’église, une boutique de vêtements a traumatisé une génération : la mienne. Les parents avaient de ces idées. Un jour, je suis sorti de chez Armand Thiery et Sigrand avec un costume en velours noir et une chemise qui grattait. J’ai mis du temps à m’en remettre. Un peu plus bas, un disquaire envoyait le son. On se croyait à Londres. Les Bee Gees chantaient Stayin’ Alive. À deux pas, les cinémas. On avait le choix entre Midnight Express, Les Bronzés, ou Voyage au bout de l’enfer. Pas mal les affiches de l’année . Après le film, on allait dans les bars du coin, histoire de parler des filles et de l’OGC Nice. Je ne sais plus dans quel ordre. On n’évoquait jamais la laïcité. On la vivait. Le juke-box tournait en boucle. Le maire avait une grosse moustache. Il s’appelait Jacques Médecin. Il était aux petits soins pour sa ville.

L’avenue porte le nom de son père.

Avant, elle était l’avenue de la Victoire. C’était avant. En , Nice Étoile n’était pas sorti de terre et Nice-Matin faisait ses cartons. Le journal s’apprêtait à quitter ses locaux historique­s pour l’ouest de la ville. Plus qu’un déménageme­nt, un exil. Sur l’Avenue, deux institutio­ns se partageaie­nt la foule et le gâteau : La Riviera et les Galeries Lafayette. Des places fortes élégantes et parfumées. Entre les deux, la banque préférée d’Albert Spaggiari : la Société Générale. Qui a oublié le casse de Nice et son mot doux (Ni armes, ni violence et sans haine) ? Les temps ont changé. L’ennemi public numéro un n’est plus un gangster mais un terroriste. Il y a un mois, l’un de ces barbares a ensanglant­é l’église Notre-Dame. Il a martyrisé la ville et enlevé trois vies. Bientôt, on ne pourra plus marcher dans Nice sans avoir mal. Malgré l’horreur, ce monstre n’a pas atteint nos souvenirs, ni abîmé notre jeunesse. Mais il a souillé l’endroit.

Là où sont descendues nos années d’insoucianc­e. L’arrêt Notre-Dame.

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