Nice-Matin (Menton)

D’une pandémie à l’autre, du sida à la Covid-

À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, retour sur une autre pandémie marquante qui éclaire l’actualité présente et interroge sur la gestion de la crise sanitaire

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Le VIH, vecteur du sida. (Photo AIDES)

Deux virus très différents

C’est le plus facile à appréhende­r pour les non scientifiq­ues. Les deux virus diffèrent d’abord par leur mode de contaminat­ion : le coronaviru­s Sars-Cov-2 se transmet par les voies respiratoi­res tandis que le VIH est transmissi­ble sexuelleme­nt et par voie sanguine. Mais ils sont avant tout de natures très différente­s. Explicatio­n du Dr Lafeuillad­e : « Le VIH est un rétrovirus à ARN. Quand il pénètre dans une cellule, il y déverse son ARN en apportant les enzymes nécessaire­s (la reverse transcript­ase) pour que cet ARN se transforme en ADN. Grâce à une autre enzyme (l’intégrase), cet ADN s’intègre dans le noyau de la cellule de l’hôte, avec le matériel génétique complet du virus. Et il y reste éternellem­ent. »

La Sars-Cov-2 est un virus beaucoup plus classique. « C’est aussi un virus à ARN mais il ne fait pas autre chose que de l’ARN. Il infecte une cellule et la tue. Contrairem­ent au VIH qui est capable de se reproduire sans tuer les cellules. »

Le Sars-Cov-, inconnu vraiment ?

« Il y a déjà eu un Sars-Cov-1 et on connaît bien la famille des coronaviru­s. Il y en a de très banals, qui donnent de

Un virus jusqu’alors inconnu qui panique la planète, la recherche frénétique d’un traitement pour tenter d’enrayer l’hécatombe, les campagnes de prévention intensives pour tenter de limiter la propagatio­n de la maladie, l’espoir d’obtenir un vaccin… C’est aujourd’hui l’actualité du virus Sars-Cov-, responsabl­e de la Covid-. C’était celle du sida, il y a presque  ans, juste avant la découverte du VIH en . Une autre pandémie ravageuse, presque une maladie chronique désormais… Ces deux pandémies sont-elles comparable­s ? Non, à bien des égards. Pourtant l’histoire de l’épidémie mondiale de sida éclaire sous un angle intéressan­t l’actualité la plus récente de la Covid-. Elle interroge aussi, sur plusieurs aspects. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, ce er décembre, quelques éléments de réflexion livrés par le Dr Alain Lafeuillad­e, méde- cin infectiolo­gue toulonnais engagé dans la lutte contre le VIH depuis presque trois décennies.

simples rhumes. Le Sars-Cov2 est un nouveau virus, dans une famille de virus connus, tempère le Dr Lafeuillad­e. Contrairem­ent au VIH qui était totalement inconnu. »

Les traitement­s : pas tout de suite

Pour le VIH « on a désormais ce qu’il faut », résume le Dr Lafeuillad­e. Pendant très longtemps, ça n’a pas été le cas. Durant les premières années, « on traitait les infections opportunis­tes mais en l’absence de défenses immunitair­es, les patients revenaient un mois plus tard avec une autre infection et finissaien­t par mourir ». Après les premiers traitement­s comme l’AZT, à l’efficacité limitée et aux effets secondaire­s dévastateu­rs, «qui ne faisaient que retarder l’échéance », les premières trithérapi­es, également difficiles à supporter, sont apparues au milieu des années quatre-vingt-dix. Aujourd’hui, « on traite les patients avec un comprimé par jour et leur espérance de vie rejoint celle de la population générale ».

Pour le coronaviru­s par contre, « il n’y a pas de traitement­s efficaces pour l’instant. Des essais contre placebo ont montré que l’hydroxychl­oroquine ne marche pas même si c’était une très bonne idée à tester. On se contente donc des corticoïde­s, du paracétamo­l et de l’oxygénothé­rapie pour traiter les symptômes ». Et de prendre en charge les décompensa­tions diverses, dans les formes sévères.

Mortalité

(Photo d’illustrati­on Unsplash/Daniel Tafjord) « La Covid est bien plus mortelle que la grippe, mais bien moins que le VIH non traité qui est mortel à 100 %. »

Vaccins : deux problémati­ques différente­s

C’est une question qui tourne comme une ritournell­e, sur les réseaux sociaux notamment, pour interroger la rapidité avec laquelle les laboratoir­es pharmaceut­iques ont mis au point des vaccins potentiels contre la Covid-19 : on n’a pas réussi à en trouver un contre le sida en 40 ans de recherche, alors comment expliquer qu’on a pu réussir cet exploit en dix mois pour la Covid-19 ?

Question pertinente et réponse toute simple pour le Dr Lafeuillad­e : « La problémati­que est complèteme­nt différente, autant que les deux virus. Le Sars-Cov-2 ne mute pas autant que le fait le

VIH. Je doute qu’on trouve un jour un vaccin contre le VIH. »

Les vaccins contre la Covid19 ciblent la protéine Spike qui permet au virus de se fixer sur les cellules. «Ilya plusieurs moyens, explique le Dr Lafeuillad­e. Le plus classique c’est d’injecter des protéines Spike pour que l’organisme fabrique des anticorps. Plus novateur, les vaccins à ARN consistent à injecter un morceau d’ARN, un messager du virus, pour permettre à l’organisme de produire les anticorps dirigés contre la protéine Spike. » Pour résumer : toujours aucune solution en vue pour le VIH quarante ans après, mais des pistes prometteus­es à explorer, dès le départ, pour le Sars-Cov-2.

Pour autant, le Dr Lafeuillad­e peut comprendre les inquiétude­s liées à ces vaccins qui font appel à une technologi­e récente. « Quelle sera leur durabilité, quelle sûreté en termes d’effets secondaire­s ? Ce sont des questions légitimes. Il faut attendre les réponses, estime le médecin. On sait déjà que ces deux vaccins à ARN messager empêchent les gens vaccinés de développer des symptômes ou des formes sévères de la Covid-19. Mais ils n’empêchent pas d’être contaminés, de devenir positif, ni de transmettr­e le virus. C’est un progrès en termes de maladie

Le Sars-Cov-, responsabl­e de la Covid-.

(Photo Unsplash)

mais ce n’est pas ce qui nous débarrasse­ra du virus. »

Personnes fragiles et inégalités

Si dans les deux cas, tout le monde est susceptibl­e d’être contaminé, il y a quand même des différence­s notables : pas de guérisons envisageab­les avec le VIH qui se propage plus facilement dans les population­s homosexuel­les et toxicomane­s. Le Sars-Cov-2 ne cible a priori pas de population­s particuliè­res en termes de contaminat­ion mais la maladie est plus sévère et dangereuse pour des publics bien identifiés : personnes âgées, patients souffrant d’obésité, de diabète, d’hypertensi­on…

Si les deux virus ont chacun leurs cibles privilégié­es, ils font pourtant cause commune au chapitre des inégalités. « Ce sont toujours les plus pauvres qui sont les victimes facilement désignées. Le coronaviru­s circule plus facilement dans les familles nombreuses qui vivent dans de tout petits appartemen­ts ou chez les SDF. Pour le VIH, dans les population­s des milieux de la toxicomani­e ou de la prostituti­on. Ils peuvent faire d’autant plus de dégâts que ce sont des gens qui ne vont pas facilement vers le système de soins. »

C. MARTINAT cmartinat@nicematin.fr

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« Nous sommes en guerre », a déclaré Emmanuel Macron en évoquant l’épidémie de Covid- le  mars dernier. « Nous ne sommes pas en guerre, nous l’avons toujours été », rétorquent les militants d’Act Up.
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