Nice-Matin (Menton)

L’autre enjeu de l’affaire Nicolas S.

- CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Essayons d’oublier un instant qui est Nicolas S. Les avis exprimés depuis mardi sur la (lourde) condamnati­on de l’ancien président de la République nous paraissent excessivem­ent parasités par les affects et les passions politiques pour que l’on puisse avoir une discussion sereine.

Laissons également de côté le débat sur les faits. Le tribunal a déclaré le prévenu coupable. Lui, proteste de son innocence.

Nous ne sommes pas juge. La cour d’appel tranchera.

Ce qui nous retient ici, c’est la question de principe que soulève ce jugement. Elle ne concerne pas seulement le prévenu S. mais nous tous, car elle touche aux libertés publiques et aux droits de la défense : l’usage des écoutes téléphoniq­ues entre une personne et son avocat. Pour mémoire, selon le tribunal, les écoutes ordonnées dans le cadre de l’affaire A (Libye) ont révélé de façon fortuite, en marge de l’affaire B (Bettencour­t), l’existence de pacte de corruption devenu l’affaire C. Ce qu’on nomme « filets dérivants ».

Or il faut savoir que / les échanges entre un avocat et son client sont théoriquem­ent couverts par le secret profession­nel ; / dans le cadre des écoutes judiciaire­s ordonnées par un juge, il est interdit de retranscri­re, donc d’utiliser, les éléments relevant du droit de la défense. Autrement dit, dès que la conversati­on porte sur la défense du client dans une affaire en cours, les policiers sont supposés se boucher les oreilles ou oublier ce qu’ils ont entendu… Défense de rire. Mais le principe est là. Comment, dans ces conditions, la Cour de cassation a-t-elle pu valider les écoutes S. et le tribunal correction­nel s’appuyer sur elles pour condamner ? C’est que, comme le dit le jugement, «silesecret profession­nel entourant la relation entre un avocat et son client est une garantie primordial­e du procès équitable, il n’est pas intangible ». Primordial­e mais pas intangible : tout est dans la nuance…. Explicatio­n. Premièreme­nt, selon la Cour de cassation, le principe de confidenti­alité ne s’oppose à la transcript­ion des conversati­ons dès lors que leur contenu laisse présumer la participat­ion de l’avocat à une infraction. Ce qui aboutit en pratique à une validation de l‘écoute a posteriori… en fonction de ce qu’on y trouve. Mais soit. Cette jurisprude­nce, fixée depuis , n’est plus très discutée. Secondemen­t, la Cour considère qu’une telle pratique ne porte pas atteinte aux droits de la défense dès lors que la personne mise sur écoute n’est « ni mise en examen ou témoin assisté ni même n’a été placée en garde à vue dans la procédure en cause ». Là, on n’est pas très loin du pur sophisme et l’argument fait hurler les avocats. Car cela signifie que seuls les justiciabl­es déjà mis en cause verraient leurs conversati­ons avec leurs avocats protégées – et pas ceux qui vont l’être… justement sur la base des écoutes. Et, insiste le bâtonnier de Paris, que « le seul avocat que l’on ne peut pas écouter est celui de quelqu’un qui fait l’objet d’une procédure pénale ».

Déférence gardée envers la Cour, cette constructi­on semble un peu bancale et ses conséquenc­es hasardeuse­s.

Sans doute, dira-t-on, il est difficile d’admettre que la justice ferme les yeux si elle découvre aux détours d’une écoute l’existence d’une infraction. Mais attention à ne pas banaliser ce qui doit rester une pratique exceptionn­elle. « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a dû pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. » (Montesquie­u).

La question posée est celle de l’équilibre entre les nécessités de l’ordre public et le respect d’un principe, le droit à une justice équitable, qui fait partie de nos libertés démocratiq­ues. La ligne jaune a-t-elle été franchie dans l’affaire S. ? La Cour de cassation, aura sans doute à le dire – peut-être même la Cour européenne des droits de l’homme. Mais le jour venu, quand le tintamarre politico-médiatique sera retombé, il serait bon que le législateu­r s’empare du sujet pour cadrer et garantir le secret profession­nel des avocats comme il doit l’être. Comme il l’est dans la plupart des démocratie­s.

« Comment la Cour de cassation a-t-elle pu valider les écoutes S. et le tribunal correction­nel s’appuyer sur elles pour condamner ? »

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